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M. Tilden. Ce miracle, s’il se réalise, n’est possible que par les comités de vérification électorale chargés de donner le caractère légal aux suffrages, par ces returning-boards dénués de tout scrupule, composés de façon à organiser la fraude, à maintenir l’oppression des blancs par les noirs, par les aventuriers du nord qui depuis la guerre ont envahi le sud.

Le moyen que ces comités emploient dans la vérification des suffrages est bien simple : ils suppriment les voix données aux démocrates dans certains comtés, et c’est ainsi qu’ils paraissent être arrivés à donner à M. Hayes une majorité factice dans la Caroline du sud, la Louisiane et la Floride. Les démocrates naturellement protestent contre ces résultats d’une fausseté notoire, attestée même par les cours de justice sur certains points, et la lutte continue ainsi, qu’il s’agisse du reste des élections locales ou de l’élection présidentielle. En ce moment même, dans la Caroline du sud, il y a en présence deux législatures, l’une blanche, l’autre noire, prétendant également être légitimes ; elles ont siégé un instant dans la même enceinte. Il y a deux gouverneurs prétendant tous deux être élus, le général Hampton, soutenu par la cour suprême de l’état, et M. Chamberlain, réduit à faire défendre la maison de l’exécutif par les troupes fédérales. Partout, dans la Caroline du sud comme dans la Louisiane, l’œuvre des returning-boards est signalée comme frauduleuse.

Que va faire maintenant le congrès de Washington en présence de tous ces suffrages suspects qui ne pourraient qu’altérer l’élection présidentielle, et sans lesquels on ne peut cependant arriver à une majorité légale ? Les deux chambres viennent de s’entendre pour former une commission dont les membres vont procéder à une enquête dans les états où se passent toutes ces violences. La situation ne laisserait pourtant pas de devenir étrange, si les suffrages contestés finissaient par être annulés, et si la nomination directe du président et du vice-président par le pays était impossible faute d’une majorité suffisante. L’élection passerait alors au congrès ; mais dans le congrès, le sénat est républicain, la chambre des représentans compte une majorité démocrate. Dans tous les cas, si l’élection directe peut arriver à la validation, elle a la chance d’être faite à une seule voix de majorité ; si elle est l’œuvre du congrès, elle se fera probablement au profit du candidat démocrate, et ce n’est pas le trait le moins significatif de l’histoire des États-Unis que, dix ans après la fin de la guerre de la sécession, un démocrate puisse être le successeur du général Grant à la Maison-Blanche. Ce serait assurément la démonstration la plus éloquente de l’impuissance des moyens violens employés par le nord dans les états du sud, et des erreurs, des abus désastreux commis par le parti républicain dans une administration, dans un règne exclusif de dix années, ch. de mazade.