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de la chute du dernier grand-vizir, fort hostile à tous ces projets, et de l’avènement au grand-vizirat de Midhat-Pacha, le principal et persévérant promoteur de la réforme nouvelle. Certes, si des articles de loi suffisaient, il n’y aurait plus rien à dire, et dans son empressement à invoquer toutes les autorités, M. Gambetta a pu même dernièrement placer la constitution octroyée par le sultan au nombre de ses argumens. Voilà donc la Turquie en possession de toutes les garanties de l’organisation européenne la plus libérale ! Elle a, — au moins sur le papier provisoirement, — des chambres, la responsabilité ministérielle, la liberté de la presse, la liberté de conscience, l’égalité de tous les sujets du sultan devant la loi, l’inviolabilité du domicile et de la propriété, l’indépendance de la justice, la décentralisation administrative la plus complète, etc. On n’a rien oublié, — pas même l’interdiction du mandat impératif pour les députés ! La Turquie a fait mieux encore : elle a témoigné l’intention de revenir sur les décrets d’Abdul-Azis qui l’ont mise en banqueroute, e, t d’entrer en arrangement avec ses créanciers étrangers, en commençant par reconnaître leurs droits.

De quel poids vont peser toutes ces réformes dans la balance où la diplomatie européenne pèse les destinées de la Turquie ? Il est assez vraisemblable que l’Europe, engagée dans ses négociations, ne s’arrêtera pas devant la constitution d’Abdul-Hamid. La conférence de Constantinople a préparé ses conditions dont elle ne se départira pas sans doute, et la question la plus grave est toujours dans ce qu’on fera en Bulgarie, dans l’éventualité et le caractère d’une occupation étrangère. La Russie reste après tout la grande arbitre de la paix et de la guerre ; tout dépend de la pensée qui l’anime dans ce travail diplomatique qui se poursuit à Constantinople. Elle a paru jusqu’ici se prêter aux combinaisons pacificatrices, même à une occupation de la Bulgarie par des troupes d’un pays neutre, et la mission paraît avoir été offerte à la Belgique, qui l’a naturellement déclinée. La Russie ne s’est-elle prêtée à cette idée d’une occupation neutre de la Bulgarie que parce qu’elle la savait d’avance irréalisable ? A-t-elle l’arrière-pensée de laisser la diplomatie s’engager, de tout épuiser, pour apparaître au dernier moment, le jour où elle croirait devoir entrer en action, comme la mandataire d’une politique, d’un programme qui aurait reçu la sanction diplomatique de l’Europe ? C’est là toujours le point noir. Et cependant la Russie elle-même a bien des raisons de ne pas se lancer légèrement dans la guerre. Elle trouve quelques-unes de ces raisons dans la situation intérieure de l’empire, où souffle l’esprit révolutionnaire, d’autres dans ses finances, et la plus grave de toutes les raisons qui doivent la porter à la paix est l’état de l’armée active qu’elle a rassemblée en Bessarabie, aux abords du Pruth. Les maladies qui se sont déjà déclarées, l’insuffisance des approvisionnemens, les malversations qui ont été, dit-on, découvertes, tout est de nature à inspirer des réflexions salutaires à la