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mission du budget a cru sans doute le moment venu de tenter un grand coup pour raffermir son ascendant, et il a engagé ce duel singulier pour les prérogatives financières de la chambre, contre le sénat, un peu aussi contre son heureux rival. Il s’est jeté dans la mêlée comme s’il avait été menacé ou provoqué, appelant à son secours l’histoire, les traditions parlementaires, toutes les interprétations constitutionnelles, les susceptibilités d’une assemblée populaire. Seulement M. Gambetta a joué là sans une nécessité évidente une périlleuse partie, où il eût été bien embarrassé de la victoire, des conséquences de son succès, et où une défaite pour une mauvaise cause risquait de ruiner son autorité, en mettant en défaut sa finesse et son habileté de stratégiste. Il a été vaincu, voilà la moralité de cette partie personnelle du conflit dont il a cru fort légèrement devoir prendre l’initiative !

Que M. Gambetta, dans ce duel sous la forme d’un discours savamment préparé et aiguisé, ait déployé de la vigueur, parfois de l’esprit ou une certaine âpreté de passion, nous le voulons bien. Il n’a point été certainement heureux dans tous ses appels à l’histoire, aux traditions parlementaires, et si M. le président du conseil n’a pas cru nécessaire de rectifier des jugemens plus superficiels que sérieux, c’est qu’il n’a pas voulu sans doute encombrer de ces souvenirs une discussion toute politique. Où donc M. Gambetta a-t-il vu que le droit parlementaire aurait été toujours interprété dans les anciennes chambres des pairs comme il l’interprète lui-même, que les privilèges financiers qu’il revendique n’ont été jamais ni contestés ni limités ? L’histoire des anciennes assemblées est au contraire pleine de contestations et de protestations qui se renouvelaient sans cesse. Lorsque la chambre des pairs, votant à la dernière heure, comme le sénat l’autre jour, s’abstenait de tout changement, c’est qu’elle se sentait limitée par le temps, non par une autre prérogative, c’est que, la durée de la loi du budget n’étant que d’une année, on pouvait s’en tenir à des observations ; mais les plus savans rapporteurs, M. d’Audiffret, M. de Saint-Cricq, avaient le soin d’ajouter que l’assemblée avait toute liberté d’amendement, si « un vote de l’autre chambre paraissait susceptible de porter un trouble considérable dans un service public, » si on introduisait « parmi les articles réglementaires quelque disposition excessive ou étrangère au budget. » La prérogative est toujours restée intacte. M. Gambetta confond la modération dans l’exercice de cette prérogative avec l’abdication d’un droit qui n’était ni abandonné par la chambre des pairs ni contesté par l’autre chambre, et que le gouvernement était le premier à reconnaître, même quand il demandait qu’on n’en usât pas. La constitution nouvelle de 1875 n’a fait que renouer et raviver en quelque sorte ces traditions, sans équivoque possible, sans aucune ambiguïté de texte, si bien que M. le président du conseil a pu raisonnablement se demander comment deux