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président du conseil devant la chambre des députés, contre ceux qui lui contestaient la prérogative la plus simple, et ceux qui ont eu l’imprévoyance d’engager cette lutte dangereuse n’ont pas vu qu’ils risquaient la paix publique pour une fantaisie d’interprétation captieuse.

Les questions de prérogatives sont assurément toujours épineuses et délicates, d’autant plus qu’elles ne sont presque jamais ou qu’elles ne restent pas longtemps des questions de droit. Elles ne tardent pas à se compliquer des passions, des calculs, des mobiles de partis, et pour tout dire, ce qu’il y a de plus grave, selon le mot aussi spirituel que juste de M. Jules Simon, c’est ce qu’on y met. À prendre la dernière crise dans sa simplicité, où donc y avait-il un prétexte de conflit sérieux ? La constitution de 1875, qui est la forme légale de la république en France, a créé deux assemblées : à ces deux assemblées elle a donné des attributions à peu près égales dans la préparation et l’adoption de toutes les œuvres législatives, en réservant seulement à la chambre des députés la prérogative particulièrement spécifiée de recevoir la première, de voter la première les lois de finances. Ainsi la chambre des députés a l’initiative du vote des taxes, des impôts ou des dépenses, et cette initiative, elle l’a exercée en toute liberté pendant huit mois. Le sénat, à son tour, garde la faculté de rectifier ou de réformer ce que l’autre chambre a voté, et il l’a fait avec la plus sage mesure. La part simple et claire du droit dans la dernière crise, la voilà. Ce qu’on y a mis de plus, c’est une préoccupation de stratégie politique, le ressentiment contre certains votes du sénat, une impatience ombrageuse, c’est la velléité plus ou moins déguisée de se faire du budget une sorte de retranchement inviolable, un moyen de domination et de prépotence. Ce qui a été peut-être aussi un des élémens du conflit, c’est l’esprit de rivalité personnelle.

Évidemment M. Gambetta a été la dupe de son imagination ou du sentiment d’une importance qui a quelque peine à se classer. M. Gambetta, en vérité, offre un spectacle curieux à ceux qui le suivent sans prévention. Il a toujours l’air d’un ancien dictateur embarrassé de lui-même, qui ne peut rester dans l’inaction et qui ne sait comment trouver un rôle, qui avec des dons de souplesse et d’éloquence ne peut se décider à être ni un modéré ni un radical. Il ne peut pas être ministre et il ne croit pas pouvoir être un simple député ! Il cherche sa place : il a cru la trouver dans cette présidence de la commission du budget qui l’a aidé à entreprendre son éducation financière, qui un instant a fait de lui le chef presque officiel et indépendant d’une majorité empressée à voter tout ce qu’il proposait. Il conduisait son bataillon de rapporteurs sur le terrain, les soutenant du geste et de la voix. Il a protégé des ministres et il les a laissé tomber. L’avènement de M. Jules Simon à la présidence du conseil n’était pas vraisemblablement ce qu’il désirait et ne lui a peut-être pas laissé tout son calme. Le président de la com-