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de 1875, le budget a été présenté à la chambre des députés, qui s’est empressée de nommer une commission dont M. Gambetta a tenu à s’attribuer la présidence. Cette commission a pris sa tâche au sérieux, c’était son droit et son devoir ; dans tous les cas, elle a mis le temps à l’accomplir, puisqu’au moment de la prorogation parlementaire du mois d’août elle n’avait pu soumettre encore qu’une partie de son travail à la chambre, et que la nécessité d’avoir un budget voté avant le dernier jour de l’année a été la raison légitime d’une session extraordinaire. La commission de la chambre des députés, en prenant son temps, a poursuivi son œuvre avec un zèle que nous ne contestons pas, comme aussi peut-être avec une ardeur assez novice. Elle a tenu visiblement à se distinguer, et puisque la situation générale de la France ne lui permettait pas de proposer ces grandes réformes financières dont M. Gambetta a donné une idée dans un rapport sur l’impôt du revenu, elle a voulu prendre sa revanche dans les détails. Elle a touché à tout, suivant quelquefois ses fantaisies, écoutant trop souvent l’esprit de parti, mettant en suspens avec un article de budget des lois organiques, enlevant à M. le ministre de la guerre ses aumôniers militaires, à M. le ministre de l’intérieur ses sous-préfets, à M. le ministre des cultes ses bourses de séminaires, ses subventions ou son chapitre de Saint-Denis. Elle a si bien procédé que chemin faisant elle n’a pas peu contribué à précipiter la dernière crise ministérielle, où la gauche a eu la satisfaction de voir disparaître M. Dufaure. Tout n’était pas fini cependant. Ce budget voté par la seconde chambre tardivement, confusément, à travers les débris d’un ministère, avait encore à passer par le sénat, et c’est là qu’a surgi tout à coup cette question, sinon imprévue au moins singulière, de l’inégalité ou de la différence des prérogatives financières des deux assemblées.

Ce que la commission de la chambre des députés avait mis huit mois à préparer, le sénat était-il obligé de le sanctionner en quelques heures, sans examen sérieux, sans distinction ? avait-il ou n’avait-il pas le droit de discuter, lui aussi, de revoir, de réformer au besoin le budget ? En un mot, la constitution, les traditions parlementaires, donnaient-elles à une des deux assemblées le privilège exclusif de fixer les dépenses publiques, en ne laissant à l’autre assemblée qu’un droit d’enregistrement banal, de contrôle inefficace ou de remontrance plus vaine encore ? Ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’on ait pu soulever un conflit de ce genre, qui n’a sa raison d’être ni dans la nature des choses, ni dans la situation constitutionnelle de la France, et qui, à ce moment extrême de l’année, pouvait, par la suspension subite des services publics, ouvrir une crise que rien n’explique, que rien ne justifie. Le sénat a détourné la crise ou dissipé le fantôme par sa fermeté calme et modérée ; il a maintenu son droit en l’exerçant, il a été soutenu par le gouvernement, par M. le