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adieu et continuent leur route. La séance de réception du 21 décembre se serait passée en Chine que la congrégation des rites n’aurait rien trouvé à y reprendre. Les voitures se sont rencontrées, les essieux se sont accrochés, on les a dégagés le chapeau à la main et le sourire aux lèvres, et puis chacun a repris sa route, l’un dans la direction de l’École normale et du Collège de France, l’autre pour retourner dans le quartier où sont les théâtres.

M. Legouvé avait averti M. Boissier qu’il serait sincère jusqu’à la franchise; sa franchise a été si aimable qu’on peut dire qu’il l’a fouetté avec des roses. Il a tenu à lui expliquer dans son exorde, chaudement applaudi par l’assistance, pourquoi il avait voté contre lui. — « Le jour de votre élection, lui a-t-il dit, vous avez eu vingt-trois voix pour vous et neuf seulement contre. Eh bien! je vous avouerai franchement que j’étais un des neuf, et je vous demande la permission de vous dire pourquoi. » Le pourquoi, c’est qu’à son avis l’Académie doit se recruter surtout parmi les poètes, les romanciers, les auteurs dramatiques; il estime que la poésie, le roman, le théâtre représentent ce qu’il y a de plus rare et de plus difficile, l’invention, et qu’au surplus les autres genres de littérature conduisent ceux qui y excellent à la Sorbonne, au Collège de France, à l’Académie des inscriptions, aux Sciences morales et politiques, « voire au ministère. » Cette raison est-elle la bonne? Le bruit a couru que M. Legouvé avait voté contre l’auteur de Cicéron et ses amis dans l’unique intention de lui être agréable, et qu’il lui avait dit quelque temps avant l’élection : — « Votre succès est assuré, mais un triomphe n’est glorieux que lorsqu’il a été disputé. Or je désire que votre élection soit glorieuse, et c’est pour vous témoigner ma bienveillance que je voterai pour M. Manuel, c’est pour travailler à votre gloire que je lui racolerai le plus de voix que je pourrai. » Quoi qu’il en soit, M. Legouvé a terminé son exorde par ces mots : « Après avoir voté contre vous par conviction, je rétractai tout bas mon vote par remords; élu, il y a six mois, avec vingt-trois voix, vous vous trouvez aujourd’hui en avoir vingt-quatre. » Tout est bien qui finit bien; qu’en a pensé M. Manuel? La fête n’a rien laissé à désirer, l’autel était orné de fleurs, la musique était bonne, les offices ont été récités d’une façon irréprochable; mais c’est M. Manuel qui a payé les cierges.


G. VALBERT.