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comme l’a dit M. Camille Rousset, « de prendre en bloc l’héritage de la révolution; » au contraire, il était d’avis « qu’elle n’acceptât la succession que sous bénéfice d’inventaire. » M. de Carné, nous sommes forcés d’en convenir, n’a jamais pu prendre sur lui d’admirer l’incorruptible Robespierre, et nous savons très bien qu’il est de mode dans certaine école de professer pour ce grand homme non-seulement de l’estime et de l’admiration, mais un enthousiasme mêlé d’attendrissement. M. de Carné, c’était là une des infirmités de son esprit, voyait dans ce grand homme un sinistre rhéteur, une solennelle médiocrité et peut-être un sot méconnu. Il avait peu de goût pour « les bourreaux barbouilleurs de lois. » S’il n’était pas assez philosophe pour rendre justice aux philosophes du XVIIIe siècle, il était trop libéral pour admirer les radicaux terroristes de 1793. Les radicaux d’aujourd’hui consentent à nous faire grâce de la terreur, mais ils nous défendent d’en médire, et ils ont conservé l’esprit conventionnel. Le gouvernement qu’ils nous proposent, et qu’ils voudraient nous imposer, est le despotisme omnipotent d’une assemblée, impatiente de tout contre-poids et de tout contrôle, incapable de se prêter à une transaction. M. de Carné était un fervent constitutionnel, et il estimait que la transaction est l’âme de tout gouvernement libéral. — Ce qu’il y a de meilleur dans l’esprit anglais, disait Burke, c’est qu’il préfère les compromis à la pure logique. — Qui nous délivrera des superstitions et des mythes? En France, tous les partis, les révolutionnaires, les libres-penseurs eux-mêmes, ont leur légende dorée, leurs agnus, leurs saints et leurs petites pratiques; ils disent tous leur rosaire; ils font tous leurs pèlerinages dans leurs petites chapelles miraculeuses. Tel qui se moque de Notre-Dame-de-Lourdes adresse des oraisons éjaculatoires à l’habit bleu, au gilet blanc de ce bon M. de Robespierre, ou même au sacré cœur de Marat. L’esprit de sacristie est la plaie de la France, et la bigoterie révolutionnaire n’est pas moins étroite que l’autre. Si jamais la république périt, ce ne sera pas la faute des libéraux à la façon de M. de Carné; elle aura été tuée par les légendes, les revenans et les fétiches.

M. Charles Blanc avait été injuste pour la politique et pour le style de M. de Carné; M. Camille Rousset n’a pas été tout à fait juste pour M. Charles Blanc et pour la Grammaire des arts du dessin. Ce livre, aussi solide qu’agréable, riche en théories clairement déduites, plein de vues ingénieuses, égayé par de piquantes anecdotes, écrit d’un style animé et chaleureux, a comblé une lacune dans la littérature des beaux-arts. Sans doute on n’apprendra pas à dessiner en le lisant, pas plus qu’en étudiant l’esthétique de Hegel on n’apprend à composer des chefs-d’œuvre classiques ou romantiques; mais M. Charles Blanc enseigne à son lecteur l’art de voir, il lui enseigne aussi à se rendre compte de ce qu’il voit, il lui découvre les lois cachées et la logique secrète de l’architecture