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par la coopération à la guerre de Crimée, par l’entrevue de Plombières, par toutes les combinaisons qui ont précédé ou suivi le concours des armes françaises au moment décisif. Si Cavour ressemblait parfois à un révolutionnaire par son impétuosité ou par la nature de quelques-uns de ses actes, il n’ignorait aucun des secrets du négociateur. Il n’avait pas la futile infatuation de croire que l’Europe fût faite pour l’Italie, il croyait au contraire que l’Italie devait s’adapter à l’Europe; il savait tenir compte des intérêts européens, mesurer les circonstances, et dans son activité infatigable pour conquérir les alliances ou pour les garder, ou pour en augmenter le nombre, toute son habileté consistait à démontrer sans cesse que cet affranchissement d’un peuple auquel il travaillait était la meilleure garantie de paix. Le révolutionnaire se faisait conservateur pour rassurer ou pour gagner les cabinets, en leur prouvant au besoin que par les résolutions les plus audacieuses, par l’accomplissement de l’unité italienne, il restait le défenseur de l’ordre. Pour jouer ce rôle, il avait l’immense avantage de s’appuyer sur une des plus vieilles monarchies de l’Europe depuis longtemps admise parmi les puissances reconnues. Il avait déjà sa place dans toutes les cours, son crédit auprès de tous les gouvernemens, et la force nouvelle qu’il représentait pour traiter avec toutes les politiques.

Placé en face de cette Europe dont il avait à conquérir l’amitié ou à désarmer les défiances, Cavour n’avait assurément aucun parti-pris, et à mesure que les événemens se déroulaient, il ne négligeait aucune occasion d’étendre sa diplomatie. Il n’avait pas tardé surtout à tourner ses regards vers l’Allemagne et la Prusse. Il était intéressé à rassurer la Prusse et l’Allemagne, à leur enlever tout prétexte de joindre leurs armes aux armes de l’Autriche sur l’Adige. C’était pour lui une nécessité du moment autant qu’une question d’avenir; il s’en préoccupait sans cesse. « La Prusse, disait-il, est une de ces puissances qui ont un intérêt direct et immédiat à changer l’état actuel de l’Europe. La Prusse doit se rappeler Olmutz; elle ne peut voir d’un mauvais œil les efforts que nous faisons pour abattre la prépondérance de son heureuse rivale. Nous ne prétendons pas qu’elle ait à tirer l’épée pour nous faire plaisir, mais je crois que lorsque l’Autriche sera affaiblie, la Prusse y trouvera de l’avantage. Elle commettrait donc une grande erreur en épousant la cause de l’Autriche contre nous. Nous ne demandons pas au cabinet de Berlin de nous aider dans la lutte, nous lui demandons de nous laisser faire. » Une autre fois, après une nouvelle tentative pour attirer la Prusse, il disait : « Ce qui n’a pu être fait aujourd’hui se fera plus tard. La Prusse est inévitablement entraînée dans le courant de l’idée nationale. L’alliance de la Prusse