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par lui, il y a eu des mouvemens de doute, des inquiétudes, des menaces de crises. Témoignage survivant de l’influence d’une pensée supérieure!

L’héritage de Cavour, c’est l’Italie mise au rang des nations, c’est cette politique partant d’une idée d’indépendance et de patriotisme, embrassant à la fois l’ordre intérieur, les intérêts économiques, les affaires de religion, la diplomatie, grandissant et se développant sans cesse par le plus prodigieux mélange de dextérité et d’audace, de justesse et d’élévation, de raison pratique et de vigueur inventive. Bien d’autres sans doute avant lui ou autour de lui ont été dévoués à la cause de l’affranchissement national ; Cavour a mieux fait dès le jour où il a pu servir cette idée d’une manière sérieuse : il a su la ramener dans le domaine des choses possibles, réalisables, en l’arrachant à l’esprit de secte, aux utopies stériles et aux conjurations violentes, en la dégageant des fatalités de révolution comme des fatalités de réaction, en lui donnant une force organisée, un drapeau, un gouvernement et des alliances. Et cette œuvre difficile, laborieuse à coup sûr, il l’a poursuivie par un procédé aussi simple que grand, par la liberté pratiquée largement, réalisée sous toutes les formes. Il avait la passion et la science de la liberté, pour laquelle il se sentait fait, et nul plus que lui n’a répudié d’un côté les agitations anarchiques, les complots ténébreux, de l’autre les dictatures, les combinaisons arbitraires, les ressources commodes de l’état de siège. Chef parlementaire dans un petit pays, dévoué, tempérant et ferme, il a su faire de ce pays piémontais un centre d’attraction pour l’Italie; ministre du roi de Sardaigne, il a travaillé à l’agrandissement moral de la maison de Savoie avant de mettre la main à son agrandissement matériel.

C’était au fond un libéral conservateur, un monarchiste constitutionnel dans la plus généreuse signification du mot. Il le disait souvent : « Aucune république n’est en état de donner une somme de liberté aussi réelle et aussi féconde que celle que peut comporter la monarchie constitutionnelle, pourvu qu’on n’en fausse pas les rouages. La forme républicaine adaptée aux besoins et aux mœurs de l’Europe moderne est encore à découvrir. Elle supposerait, en tout cas, déjà achevée cette grande tâche de l’éducation populaire qui sera l’œuvre de notre siècle. » Cavour aimait la monarchie constitutionnelle comme la régulatrice nécessaire d’une action suivie et efficace dans le tourbillon des partis; mais en même temps il n’admettait pas que la royauté pût jamais séparer ses intérêts des grands intérêts nationaux; il entendait que « loin de se mettre à la remorque des pensées et des besoins du peuple, elle devait au contraire prendre les devans lorsqu’il s’agissait de mesures généreuses