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pas de répondre à certaines susceptibilités ou à certaines préventions de cet irritable orgueil. Garibaldi à son tour finissait par se calmer à demi, exprimant un désir qui, selon lui, pouvait atténuer les dissentimens. « Bien que j’aie les sentimens d’un adversaire pour le comte de Cavour, disait-il, je n’ai jamais douté qu’il ne soit, lui aussi, ami de l’Italie. Mon désir serait que l’honorable comte, usant de sa puissante influence, fît adopter la loi sur l’armement national proposée par moi, et qu’il voulût bien renvoyer les forces qui restent encore de l’armée méridionale sur un terrain où elles pourraient servir l’Italie en combattant la réaction de plus en plus menaçante. Voilà mon désir ! » En fin de compte, c’était toujours cette question des volontaires, de l’armée méridionale, reparaissant sous la forme d’un désir, après avoir paru sous la forme d’une injonction.

Tout ce qu’il pouvait pour détendre une situation violente, pour aider à la conciliation, même pour ramener Garibaldi à la raison, Cavour était prêt à le faire. Prompt à retrouver son sang-froid après un premier mouvement d’indignation légitime, il sentait bien vite que tous ces conflits imprudemment soulevés, passant du parlement dans le pays, pourraient devenir une guerre civile à laquelle l’unité naissante ne résisterait peut-être pas ; aussi, quant à lui, aucun sacrifice, aucun effort ne lui coûtait, ni l’oubli des injures personnelles ni les concessions de détails. Il n’y avait qu’une chose, la chose essentielle, il est vrai, — à laquelle il se refusait absolument, parce qu’il y voyait un autre danger, le danger extérieur. Il ne voulait à aucun prix paraître souscrire au désir de Garibaldi, accepter une sorte d’organisation active des volontaires qui ressemblerait à une préparation de guerre offensive et qui pourrait compromettre tout le travail de diplomatie auquel il se livrait, dont il avait seul le secret. « Nous ne voulons pas, disait-il résolument, des corps de volontaires en activité dans la rigoureuse signification de ce mot. Nous ne voulons pas d’un acte qui serait une vraie provocation, parce que nous ne croyons pas devoir suivre une politique provocatrice.»

La vraie question était là, et pendant trois jours il combattait avec une inépuisable habileté, non pas précisément pour ramener une chambre déjà convaincue, dévouée à ses idées, mais pour empêcher une équivoque de se glisser, sous prétexte de conciliation, dans un vote irréfléchi. Il voulait, puisque la lutte était engagée, que le résultat fût clair et décisif. « Vous connaissez la politique du ministère, disait-il en s’élevant bien au-dessus d’un conflit personnel ; nous l’avons exposée devant le pays et devant l’Europe… Nous avons répété plus d’une fois, sous des formes diverses, que pour nous la question italienne ne serait pas finie tant que l’indépendance