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qui frappe ; mais nous ne pouvons approuver tout ce que vous avez fait. J’admets bien que dans les circonstances critiques où vous étiez vous n’avez pas pu faire autrement ; pour notre part, nous vous avons suscité le moins d’embarras possible. Quant à Venise et à sa situation malheureuse, soyez certains que nous ne jetterons pas de l’huile sur le feu, si tôt ou tard l’Autriche est disposée à la céder ; seulement alors il faudra nous entendre pour assurer les intérêts de l’Allemagne da côté de l’Adriatique… Je comprends votre désir de voir la Prusse reconnaître le royaume d’Italie : ne nous mettez pas le couteau sur la gorge, nous ferons tout pour avoir de bonnes relations avec le gouvernement de Turin ; ce sera à la fine perspicacité du comte de Cavour de nous fournir l’occasion de faire un pas de plus… » Cavour n’en demandait pas davantage ; en laissant à l’avenir ce que l’avenir devait en effet réaliser, il avait réussi pour le moment, puisqu’il voyait tout à la fois la Prusse moins hostile, l’Autriche plus isolée.

Un autre élément de cette situation si incertaine encore et toujours périlleuse, un autre embarras, c’était Rome, cette question romaine qui touchait à tout, qui intéressait l’Italie dans la constitution définitive de son unité, la France dans la protection dont elle couvrait la papauté, l’Europe et le monde catholique dans l’indépendance du pontificat. Cavour en sentait le poids et en mesurait les difficultés. « Je ne vous cache pas, écrivait-il à ce moment, que, même dans les jours de plus graves préoccupations, ma pensée est toujours fixée sur la question romaine… » Au point où en étaient les affaires italiennes, il ne pouvait éviter ce problème de « Rome capitale, » de la papauté temporelle, que l’irrésistible logique des événemens lui imposait, dont les passions révolutionnaires, surexcitées à l’appel de Garibaldi, pouvaient se faire une arme redoutable et un programme. Il savait bien d’un autre côté qu’il ne lui était pas permis de procéder avec ce qui restait du pouvoir temporel, avec Rome et le patrimoine de saint Pierre, comme il avait procédé avec la Romagne, les Marches ou l’Ombrie, — qu’il ne pouvait ni tenter ni laisser tenter quelque surprise de la force, en présence de l’Europe catholique inquiète et surtout de la France campée dans la ville éternelle. Cavour avait le sentiment profond de ces difficultés qui pouvaient être l’écueil de l’unité, et, pour faire face à cette situation si compliquée, il redoublait d’efforts et d’habileté, multipliant les combinaisons, n’excluant aucune transaction compatible avec l’intégrité nationale. Il sortait à peine des grandes crises du midi que déjà il engageait à Rome même, autour du pape, ces pourparlers mystérieux qu’il ne désespérait pas de voir réussir. Pendant qu’il faisait de la diplomatie avec les cardinaux, il