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de l’Italie vis-à-vis de l’Autriche était déjà périlleuse lorsqu’il ne s’agissait que de l’annexion de la Toscane ou de la Romagne, elle l’était bien plus encore lorsque l’Italie entière s’unissait sous l’influence d’une passion ardente de nationalité, lorsque Venise devenait le mot d’ordre d’une dernière revendication. Moralement la guerre existait par la violation de tous les traités, par la nature même de cette révolution italienne dont chaque progrès menaçait la puissance impériale sur le Mincio et sur l’Adige. D’un moment à l’autre, les hostilités pouvaient éclater; l’Autriche pouvait profiter de la crise du midi, et plus d’une fois, dans ces cruels momens, Cavour l’avait craint. Aux derniers jours de 1860, il écrivait, non sans une certaine émotion, à Mme de Circourt : « Peut-être allons-nous être mis à une rude épreuve. L’Autriche, à ce qu’il paraît, songe à profiter de l’absence du roi et de nos meilleures divisions pour nous attaquer. Nous nous préparons à lui opposer une résistance désespérée. Si Cialdini et Fanti sont à Naples, nous avons ici La Marmora et Sonnaz, qui ne se laissent pas intimider. Nous sommes prêts à jouer le tout pour le tout. Le pays est calme comme si le ciel était sans nuages; il connaît le danger, mais il n’en est pas effrayé, car il sait que la cause est assez grande pour qu’on doive faire pour elle les derniers sacrifices... » L’Autriche, il est vrai, était restée immobile : elle n’avait pu obtenir de la Russie et de la Prusse l’appui ou les encouragemens qu’elle avait compté trouver dans une entrevue alors fameuse, l’entrevue de Varsovie, et d’un autre côté elle se sentait toujours gênée par l’attitude énigmatique du cabinet des Tuileries, par la protection dont la France devait dans tous les cas couvrir la Lombardie. Elle ne se tenait pas moins sous les armes, prête à entrer en campagne, résolue à ne plus s’arrêter si on commettait la faute de l’attaquer, et en réalité désirant peut-être un prétexte, ne fût-ce que quelque tentative de volontaires, dont elle aurait pu se prévaloir devant l’Europe. Cavour se gardait bien de donner ce prétexte; il mettait au contraire là plus énergique vigilance à empêcher tout ce qui aurait pu ressembler à une agression armée. Après avoir craint d’être lui-même attaqué, il n’avait pas tardé à démêler le jeu autrichien. « Il est évident, écrivait-il vers le mois de mars 1861 au comte Vimercati, à Paris, — il est évident que l’Autriche veut être provoquée; nous ne lui rendrons pas ce service. »

Contenir l’Autriche sans lui céder, laisser en quelque sorte toujours ouverte la question de la Vénétie, sans aller follement, prématurément au devant d’une lutte qui pourrait être mortelle pour l’Italie, c’était la préoccupation de Cavour à ce moment critique. Il avait besoin, pour réussir, non-seulement de déployer la prudence