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dans le chaos qui suivit, ne furent malheureusement pas de nature à encourager ces dispositions. Deux fois encore, Bouillon se trouva comme précipité dans la guerre civile; on verra pourtant dans ses lettres qu’il fit de grands efforts pour protéger une régence avilie; sa conduite déconcerta tantôt la cour, tantôt les grands, tantôt les protestans. Les amis de la veille devenaient les ennemis du lendemain. Bouillon n’était pas assez fort pour imposer ses volontés à tous ; il usait trop souvent de ruse, mais ses desseins n’avaient rien qui ne fût honorable : il voulait rester fidèle à la politique d’Henri IV, donner la tolérance religieuse à la France sans faire des ministres et des consistoires un état dans l’état. Qu’il mêlât à ces desseins des vues personnelles, qu’il fût jaloux d’autorité, qui pourrait s’en étonner, quand il voyait le pouvoir tomber entre les mains d’un Concini et d’un Luynes?

Aussitôt qu’il apprit le crime de Ravaillac, il quitta Sedan et vint offrir ses services à la reine mère : celle-ci l’avait mis déjà du conseil de régence. Bouillon portait une haine mortelle à Sully, qui l’avait toujours desservi auprès d’Henri IV. Aerssens, l’ambassadeur des États, tenta en vain de les réconcilier. Le conseil traita tout de suite la question du secours de Clèves et de Juliers. Villeroy, qui dirigeait les affaires étrangères, reculait devant l’exécution des promesses faites par Henri IV au prince Maurice. Aerssens n’avait confiance qu’en Sully, qui était tombé en disgrâce. « Tous les autres, écrivait-il, sont des saints sans miracles. » (Aerssens à Barneveld, 11 juin 1610.) Bouillon prétendait au commandement de l’armée de secours comme maréchal de France, prince souverain de Sedan et beau-frère de Maurice. Il voulait cependant que les États prissent les devans, il n’était pas pressé de quitter la cour dans un moment aussi critique. Dans le conseil, Bouillon s’emportait contre Sully; il alla un jour jusqu’à lui montrer le poing, et Aerssens s’aventure à dire que, sans la présence de la reine, il l’eût frappé. (Aerssens à Barneveld, 8 août 1610.) Au dernier moment, quand Bouillon se croyait sûr du triomphe, il apprit que le commandement de l’armée de secours était donné au maréchal de La Châtre. Sa colère fut sans bornes; il se tourna du côté de Condé, l’engagea à retourner au prêche et à se mettre à la tête des calvinistes. Condé rejeta ses offres : la reine mère ne lui avait-elle pas donné l’hôtel de Gondy, 25,000 couronnes pour le meubler, 50,000 couronnes pour payer ses dettes et une pension de 50,000 livres? On vit, spectacle étrange, tous les princes du sang, tous les cousins d’Henri IV rangés du côté de l’Espagne, pendant que les Guises et le duc de Mayenne étaient de l’autre côté.

Bouillon, irrité, se tourna du côté de Concini, dont il devinait