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les importations diminuent et les recettes de la douane avec elles : il sortira d’autant moins d’or du pays; la balance du commerce pourra être retournée, et du même coup cesseront tous les effets pernicieux du cours forcé; la Russie, recevant des espèces en échange de ses produits et n’en livrant plus à l’étranger en paiement des siens, aura de quoi satisfaire aisément tous ses créanciers du dehors. Il y a dans cette manière de raisonner, fort à la mode en Russie et ailleurs, une erreur et une illusion. L’erreur, c’est, comme nous l’avons montré plus haut, de croire que tous les embarras du cours forcé tiennent à l’absence ou à l’émigration du numéraire. L’illusion, c’est de se persuader que l’on puisse à volonté, sans nuire à la circulation générale de la richesse, barrer ou rétrécir l’un des deux canaux du commerce extérieur et élargir ou approfondir l’autre. L’importation et l’exportation d’un pays sont loin d’être entièrement indépendantes : elles se tiennent, pour le commerce maritime au moins, par le fret, qui se trouve doublé grâce au manque de marchandises à l’aller ou au retour des navires. Elles se tiennent plus intimement encore par les instrumens de production. L’exhaussement des tarifs de la douane russe ne frappe pas seulement des objets de consommation souvent indispensables à la santé publique, il frappe aussi les fers et les machines de toute sorte, les rails et les wagons de chemins de fer ; en sorte que cette aggravation des droits atteint indirectement l’exportation nationale dans ses moyens de production et ses moyens de communication. L’on peut affirmer ainsi qu’au lieu d’un stimulant l’exportation de la Russie trouvera une entrave dans l’élévation des tarifs douaniers[1]. Il est vrai qu’elle pourrait diminuer d’une manière absolue en augmentant d’une manière relative par rapport aux importations. Cela n’a rien d’impossible, et sous un régime devenu souvent prohibitif un tel revirement de la balance du commerce pourrait s’allier avec la défaillance même de la production nationale; mais serait-ce tout profit pour la Russie, et le renversement de la balance du commerce suffirait-il à mettre fin aux embarras du cours forcé?

Pour sortir du papier-monnaie ou en relever les cours, il faut, disions-nous, deux conditions, outre la première de toutes, la paix

  1. On ne doit pas oublier qu’en Russie l’exportation dépend surtout des récoltes, et qu’à la suite d’une guerre il suffirait d’une ou deux mauvaises années pour mettre le pays dans une situation grave. Une élévation des droits de douane est du reste d’autant moins nécessaire à l’industrie nationale que, selon une remarque faite par plusieurs chambres de commerce d’Italie, par celle de Turin en particulier, le cours forcé agit d’ordinaire comme un moyen de protection, le salaire des ouvriers indigènes ne s’élevant pas toujours en proportion de l’avilissement du papier, et les consommateurs de l’intérieur ne pouvant avec une monnaie dépréciée acheter autant de produits du dehors.