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semble le fardeau de son papier-monnaie, il n’est pas aujourd’hui au dessus des forces de la Russie. Dans des circonstances normales, rien n’oblige le gouvernement à étendre la circulation, rien ne l’empêche de la diminuer. Ce fléau du papier-monnaie n’est nullement inhérent à la constitution politique ou économique de la Russie; ni ses finances, aujourd’hui en équilibre, ni même les oscillations de la balance du commerce ne la condamnent irrévocablement au cours forcé. Pour guérir ce mal déjà invétéré qui ronge tant de peuples modernes, elle a même dans ses mines d’or, non un remède infaillible, car il n’en est point en pareil cas, mais un secours qui manque aux autres nations européennes atteintes du même mal. La Russie ne doit pas oublier cependant que tout état soumis au régime du cours forcé est un malade ou un blessé en convalescence : en s’exposant à de nouveaux périls avant que sa plaie ne soit fermée, il risque de la voir s’envenimer et devenir incurable. A la manière dont, en quelques semaines, de simples appréhensions de guerre ont aggravé le mal, on peut juger de ce que ferait une guerre difficile ou prolongée. Il y a quelques mois, la Russie brûlait pour plus de 120 millions de francs d’assignats, le bon état de ses finances lui permettait de songer à réduire sa circulation fiduciaire; aujourd’hui elle voit cette légitime espérance encore une fois dissipée ou indéfiniment éloignée. Quand elle saurait obtenir pacifiquement de justes garanties pour les Slaves de Turquie, la Russie n’en aurait par moins payé cher l’appui prêté par elle aux chrétiens d’Orient. Sa campagne diplomatique soutenue de coûteux armemens aura forcément élargi sa dette consolidée ou sa dette flottante et prolongé le règne du papier-monnaie.

Je n’examinerai point ici quels sont, en Russie, les effets économiques de ce régime du cours forcé, que les événemens actuels viennent de raffermir. Ces effets sont les mêmes partout et ne diffèrent que selon le degré de dépréciation da papier; ils sont connus et ont été récemment trop bien décrits ici même, pour que nous nous y arrêtions longtemps[1]. En Russie comme ailleurs, le cours forcé a eu pour conséquence l’instabilité des affaires et des relations commerciales, par suite de l’instabilité des cours. En Russie comme ailleurs aussi, le cours forcé, en multipliant les signes monétaires et les instruments d’échange, a donné aux affaires, à la spéculation, aux opérations de crédit, une vive et dangereuse impulsion. L’abondance factice du numéraire créée par la circulation fiduciaire, les faciles bénéfices offerts par le change et l’agio n’ont probablement

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1876.