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de francs. Si avec une couverture de 720 millions de francs le rouble, tombé à 3 francs, perd déjà 25 pour 100, que serait-ce si l’encaisse métallique venait à décroître et le nombre des billets à augmenter ? Voilà pourtant la double perspective dont une guerre menace le marché monétaire de la Russie : réduction de l’encaisse, augmentation de la circulation fiduciaire, c’est-à-dire diminution ou disparition des garanties et aggravation des risques. Dans une telle situation, on ne saurait dire jusqu’à quel cours pourraient s’abîmer les billets russes. Le gouvernement semble l’avoir compris et, ayant besoin d’argent, il a convoqué ses sujets à un emprunt de 100 millions de roubles, plutôt que de puiser dans le réservoir métallique de la banque ou de répandre sur ses états de nouveaux flots de papier.

Cette sage conduite, le cabinet de Saint-Pétersbourg ne pourra longtemps la tenir, si la guerre s’engage. Les capitaux étrangers ne voudront plus répondre à son appel, les capitaux indigènes ne le pourront bientôt plus. Il ne restera que les deux ressources dues au cours forcé : l’encaisse de la banque et les émissions de papier. Or la circulation fiduciaire est déjà de plus de 3 milliards de francs, c’est-à-dire égale au chiffre maximum admis en France à la suite de la dernière guerre. Des émissions nouvelles amèneraient une dépréciation qui par l’impôt retomberait directement sur le trésor : si les finances russes n’étaient pas englouties dans une banqueroute monétaire, elles seraient au moins replongées dans les déficits annuels. La circulation fiduciaire, aggravée par les dépenses d’une guerre, rendrait toute reprise des paiemens en espèces de longtemps impraticable. La Russie se verrait pour un demi-siècle de plus peut-être enlacée dans les liens inextricables du papier-monnaie. Grâce à la paix, au contraire, et aux progrès financiers des dernières années, il était permis à la Russie d’entrevoir le moment où elle pourrait se dégager des chaînes du cours forcé.

La masse des billets en circulation n’est pas le seul empêchement à la reprise des paiemens en espèces ; il y a plusieurs obstacles préliminaires à écarter, et pour ainsi dire plusieurs barrières, plusieurs ouvrages avancés, qu’il faudrait renverser avant de s’attaquer au cours forcé lui-même. C’est d’abord le passif laissé par les anciens établissemens de crédit auxquels a succédé la banque d’état actuelle et que cette banque est chargée de liquider[1], C’est ensuite

  1. Ces établissemens de crédit sont principalement les banques d’emprunt ou lombards, qui faisaient aux propriétaires des prêts hypothécaires proportionnés au nombre de leurs serfs. En 1859, à la veille de l’émancipation, 44,000 propriétés avec 7 millions d’âmes, c’est-à-dire les deux cinquièmes des propriétés et les deux tiers des serfs de la noblesse, étaient engagés à ces établissemens pour une somme d’environ 400 millions de roubles. Cette liquidation est par suite une des conséquences de la