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privée, une banque d’actionnaires est intéressée à maintenir son crédit et le taux de son papier, sans compter qu’en dehors de son encaisse absorbée par l’état, le papier d’une banque peut représenter des effets de commerce. Si peu de résistance qu’elle offre, une société d’actionnaires est toujours un frein, une barrière. Aussi le billet de banque a-t-il un naturel avantage sur les assignats jetés directement dans la circulation par les gouvernemens. En Russie, il y a bien une banque de l’état chargée des émissions du papier-monnaie; mais ce n’est qu’une institution publique, une administration gouvernementale dont toutes les opérations doivent être portées au compte du gouvernement. C’était une tradition et peut-être jusqu’à ces derniers temps une nécessité en Russie, où naguère encore il y avait fort peu de banques privées. En matière de crédit comme en toutes choses, le gouvernement avait dû prendre l’initiative, fondant ou suscitant par sa garantie banques d’émission, caisses de prêts et de dépôts, institutions hypothécaires, caisses d’épargne et monts-de-piété. Aujourd’hui l’initiative privée est assez éveillée pour que la Russie puisse renoncer à ce que M. Léon Faucher[1] appelait une espèce de communisme financier. Les institutions de crédit élevées en dehors de la garantie gouvernementale sont nombreuses, et l’opinion n’est plus unanime en faveur du maintien d’une banque d’état.

Il y a plus d’un siècle que la Russie a fait connaissance avec le papier-monnaie, et il y a longtemps que le peuple russe a perdu dans ses échanges l’habitude de se servir de métal autre que les petites monnaies d’appoint. Les impératrices Anne et Elisabeth, la nièce et la fille de Pierre Ier , initièrent la Russie à cette périlleuse invention de l’Occident; Catherine II en usa largement, et l’on peut regarder la situation monétaire actuelle de l’empire comme remontant directement à cette princesse. Les guerres contre les Turcs avaient motivé les émissions de Catherine, les guerres contre la révolution et l’empire français en déterminèrent de nouvelles sous Paul Ier et Alexandre Ier. Chaque guerre, chaque révolution soulevait un nouveau flot de papier, et la Russie se trouva bientôt submergée sous cette marée toujours montante. La valeur des billets baissait à mesure que s’élevait le chiffre des émissions. En 1790, avec 111 millions de roubles d’assignats en circulation, le rouble d’argent ne valait encore qu’un rouble 15 kopeks de papier. En 1800, avec 213 millions d’assignats, le rouble d’argent valait déjà un rouble et demi de papier. En 1810 enfin, les assignats atteignaient le chiffre de 577 millions, et il en fallait trois pour acheter un rouble d’argent. La marche croissante des émissions et la marche

  1. Les Finances de la guerre, — Revue du 15 août 1854.