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II.

La dette inscrite au budget n’est ni la seule ni la plus lourde qui pèse sur les finances russes. Au passif provenant des emprunts intérieurs ou extérieurs, à la dette consolidée s’ajoute la dette flottante, et en particulier les billets de crédit en circulation, qui constituent une véritable dette, tout comme si le gouvernement les avait empruntés à une banque au lieu de les émettre lui-même. La Russie est depuis longtemps déjà sous le régime du cours forcé des billets ou, autrement dit, sous le régime du papier-monnaie, qui en ce moment règne sur plus de la moitié du monde civilisé : en Autriche, en Italie, aux États-Unis comme en Russie. L’on sait quelle est la vraie nature du cours forcé accordé par la loi aux billets de crédit de l’état ou aux billets d’une banque privilégiée : c’est tout simplement un emprunt, et un emprunt forcé. Ce qui a fait la fortune du papier, en tant de pays des deux mondes, c’est que de tous les modes d’emprunt le papier-monnaie est le plus aisé, le plus prompt et souvent le seul à la portée des gouvernemens dans les momens de crise; c’est encore plus peut-être que cet emprunt ne coûte à l’état aucun intérêt, ou qu’un intérêt minime, et qu’en apparence au moins c’est un crédit gratuit. Les avantages du cours forcé en font les périls : plus il est facile de se créer ainsi des ressources, plus les états augmentent leur dette et se mettent dans l’impossibilité de la rembourser. La Russie en est un des plus remarquables exemples : c’est au XVIIIe siècle qu’elle est entrée dans le papier-monnaie, et il n’est pas certain qu’elle en puisse sortir avant le XXe siècle.

Il y a deux manières pour un gouvernement de battre monnaie avec le papier. L’une est de créer directement des billets dont l’état est le seul garant, l’autre est d’autoriser un établissement privé à mettre en circulation du papier qu’il n’est pas obligé de rembourser en numéraire, et, en échange de cette concession, d’emprunter à cette banque son capital métallique ou ses billets. La seconde méthode a été adoptée en France, le premier procédé en Russie. Ce dernier semble avoir un double avantage, c’est qu’en se passant de tout intermédiaire, l’état est plus libre de ses émissions, et ensuite que le papier émis par lui ne lui coûte aucun intérêt. En fait, cette absence de contrôle et cette entière gratuité du crédit ne font qu’augmenter les périls du cours forcé en stimulant l’émission du papier. La méthode française et la méthode russe sont comme deux routes parallèles descendant, à travers les mêmes accidens, vers le même précipice; mais dans l’une la pente est moins raide, et par suite la chute moins probable ou moins rapide. Une institution