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publics, semble au premier abord un sujet d’inquiétude; en s’en expliquant les causes, on y trouve au contraire un motif de satisfaction. La rapide diminution des dépenses de ce ministère provient de la diminution des paiemens en garantie d’intérêts accordés aux compagnies de chemins de fer, c’est-à-dire du rendement supérieur des voies ferrées. De cette sorte, loin d’être un symptôme de l’épuisement des ressources nationales, ainsi que l’ont imaginé certaines feuilles anglaises, la réduction des crédits destinés au ministère des voies de communication est un signe non équivoque du développement de la richesse générale et du trafic des chemins de fer. Les travaux publics, loin d’être suspendus, ont du reste été poursuivis avec activité dans les dernières années; mais les sommes affectées à la création de lignes nouvelles ne figurent pas habituellement aux dépenses du ministère des voies de communication. Un crédit extraordinaire de près de 11 millions de roubles pour les chemins de fer et les ports était inscrit au budget de prévision de 1876, et en outre, en dehors du budget général, il y a, sous le nom de fonds spécial des chemins de fer, tout un budget particulier des travaux publics, alimenté au moyen d’une portion de la dette nationale.

En Russie, comme dans tous les états modernes, une grande partie des recettes est destinée à couvrir les charges du passé et non les dépenses du présent. La dette consomme une part importante du revenu, et, en dépit d’un amortissement régulier et rapide, ce prélèvement de la dette publique sur le budget va toujours en augmentant. La Russie n’est entrée dans la voie des emprunts qu’à la fin du XVIIIe siècle et comme héritière de la république de Pologne; c’est un des côtés par lequel les successeurs de Pierre le Grand se sont le moins hâtés d’imiter la vieille Europe. La Russie s’est jusqu’ici heureusement distinguée de la plupart de ses modèles étrangers en faisant constamment honneur à ses engagemens; elle n’a jamais fait subir à ses créanciers ni faillite, ni réduction, ni retenue d’aucune sorte[1]. Cette sage conduite avait profité à son crédit, qui, à la veille des complications actuelles, était presque égal au crédit de la France. La dette russe s’est, comme celle de la plupart des autres peuples, rapidement accrue en un demi-siècle sous l’impulsion successive des besoins militaires et des travaux de la paix. En 1831, la dette de l’empire se bornait encore à 220 millions de roubles; en 1842, elle montait à 281 millions; en 1847, à 315 millions. La guerre de Crimée doubla

  1. Il y a eu une exception temporaire pour une portion de la dette de Hollande, provenant de la république de Pologne; mais le paiement des intérêts, suspendu pendant les guerres de l’empire, a été repris ensuite et les créanciers dédommagés.