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de vaillans investigateurs mettent chaque jour en lumière des textes ignorés, il faudrait se borner à des points de détail, exhumer des manuscrits, enrichir la science par de sérieuses découvertes, et comment être complet sans embrasser tous les travaux des dernières années, sans résumer toutes les acquisitions de la critique, sans se les approprier par des vues supérieures et une exposition magistrale ? M. Paul Lacroix n’a pas de visées si hautes. Esprit facile, écrivain aimable, il se contente d’être le guide un peu superficiel du public des amateurs dans le vaste domaine du moyen âge et de la renaissance. C’est un simple dilettante, un cicérone agréable et de bonne compagnie. On peut faire avec lui d’intéressans voyages dans ces régions encore si mal connues. Ses indications, même les moins exactes, ont leur utilité, car elles éveillent toujours le désir d’étudier les choses de plus près et d’en savoir davantage.

Le tort de M. Paul Lacroix est d’avoir embrassé trop de choses. Il eût pu s’en tenir soit au moyen âge, soit à la renaissance, ou bien, s’il avait l’ambition de réunir ces deux mondes dans le même tableau, — idée excellente d’ailleurs, pourvu qu’elle fût bien comprise, — il aurait dû marquer avec plus de netteté les différences qui les séparent. Dans l’ordonnance de son livre, le moyen âge et la renaissance se confondent ; c’est une faute grave de composition. Quant aux détails, il eût fallu à l’auteur non-seulement d’immenses lectures (ce n’est pas cette condition qui lui manque), mais des lectures attentives, scrupuleuses, pour éviter les erreurs. J’interroge le chapitre consacré à la philosophie du moyen âge et je me trouve arrêté dès le premier mot. M. Paul Lacroix parlant de Jean Scot Erigène, le hardi penseur du IXe siècle, nous dit que son grand ouvrage est intitulé De la Division des Natures. Il est clair pour tout homme du métier que ce livre n’a jamais passé par ses mains ou qu’il l’a feuilleté bien négligemment, sans cela il aurait vu que le traité de Jean Scot est intitulé De la Division de la Nature (De divisione Naturæ), ou bien en grec Περι φυσεως μερισμου (Peri phuseos merismou), ou, car Jean Scot savait le grec, et ses principaux maîtres étaient saint Denis l’aréopagite et le moine Maxime. Ce pluriel substitué au singulier défigure ici tout un système. J’aurais bien d’autres objections à faire au sujet de ce seul personnage, mais ce serait abuser d’une défaillance de l’auteur.

Toutes les fois que M. Paul Lacroix est soutenu par des écrivains qui ont étudié spécialement telle ou telle partie de l’histoire des idées, quand il s’appuie sur M. Jourdain pour l’histoire de l’Université de Paris, sur M. Ferdinand Denis pour l’histoire des sciences occultes, sur M. Paulin Pâris pour l’histoire de nos vieux poèmes, on s’aperçoit qu’il marche sur un terrain solide. Il y a d’autres domaines où le sol manque sous ses pas. Pourquoi affirme-t-il, par exemple, que « la réforme fut partout funeste à la langue et à la littérature ? » Quoi ! partout ! Ce n’est pas l’avis de Bossuet, lorsque, comparant Luther et Calvin, il dit