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des joies de la famille ! Nous voici loin des salons de l’Étrangère, des gredins, des femelles et des discoureurs mystiques. C’est l’air, c’est le repos, c’est la consolation. Existe-t-il réellement, ce petit coin béni où l’on aime sans hontes, où l’on se marie sans terreurs, où l’on fait du foyer un Dieu, de la paternité une religion, où l’on n’a d’autres vices que l’amour des plats friands et des larges lippées ? S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer, et en tous cas on le découvrirait plus facilement, en France, que le pays mondain où se passent les comédies prétendument morales qui ont été faites en ces dernières années.

Ils sont dans cet Ami Fritz sept ou huit personnages, et la pièce s’achève sans qu’il ait fallu tuer personne, ni une femme, ni un homme. Le vieux rebbe, qui seul raisonne et sermonne, a ses « vibrions, » comme le docteur Rémonin ; il fait la guerre aux célibataires inutiles qui dépensent en plaisirs égoïstes leurs forces et leur cœur, qui se dérobent lâchement aux saints devoirs du mariage ; mais il ne les supprime de la société qu’en les mariant. Si le bohémien Iosef, pour amuser au dessert, d’une grosse plaisanterie, les convives de Fritz Cobus, ne leur racontait que sa femme l’a, par horreur du violon, quitté jadis pour le trombone, on pourrait croire qu’en cet éden les femmes sont fidèles à leurs maris et que l’adultère est ignoré. Une pièce sans adultère est bien la plus grande des originalités par le temps qui court.

On nous a délivrés des Grecs et des Romains ; qui nous délivrera des maris indignes et des femmes coupables ? Les comédies que Paris applaudit font presque toutes le tour du monde, et on croit à l’étranger, où on les prend fort au sérieux, qu’elles peignent la société française ; que les vertus de famille ne sont plus en France qu’un souvenir historique ; que le mariage n’y est plus qu’une porte ouverte aux jeunes filles sur le grand chemin de la débauche. Faites donc comprendre aux bonnes gens qui, à deux cents lieues de Paris, voient nos pièces recommencer toutes à l’envi le même plaidoyer sur l’adultère, faites-leur comprendre qu’il n’y a là qu’une mode littéraire, le désir d’émoustiller des auditeurs qu’on croit plus blasés qu’ils ne le sont, et une sorte de forfanterie de vice qui nous fait trouver un sujet d’orgueil dans une injuste réputation d’immoralité. Les auteurs sont de bonne foi : ils cultivent le vice en conscience ; ils prennent leurs visions pour des réalités ; ils en sont à ce degré de perfection des grands menteurs qui poussent l’art jusqu’au point de se tromper eux-mêmes et de croire à leurs propres mensonges. Si ce n’est pas assez d’exhiber les fautes, on exhibera les hontes, si les difformités ne font plus assez d’effet, on ira jusqu’aux monstruosités. La voie est ouverte, et la Comtesse Romani, de MM. Alexandre Dumas et G. Fould, qu’on joue depuis plusieurs semaines au Gymnase, nous y mène déjà loin. Pauvre théâtre, où deux ou trois bons artistes s’agitent dans le vide, et où l’on chercherait vainement quelque chose qui ressemblât à la troupe d’autrefois ! Pauvre