Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/945

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manifestement révolutionnaire, donner raison à des défiances que rien ne justifiait et accentuer en quelque sorte la crise. On l’a si bien senti que peu de jours après un des membres du centre gauche, M. Germain, a cru devoir désavouer devant la chambre la pensée d’une menace adressée au pouvoir exécutif, et déclarer qu’en aucun cas on n’avait l’intention de laisser les services publics en souffrance par un ajournement systématique du vote du budget des recettes. L’éclaircissement était devenu nécessaire, et rien ne prouve mieux ce qu’il y a d’irrégulier, de dangereux, dans toutes ces délibérations effarées et confuses. Nous le demandons sérieusement : est-ce ainsi que la chambre des députés entend jouer son rôle, aider à la « concorde des pouvoirs, » puisqu’on s’est servi de ce mot, et répondre au sentiment du pays ?

C’est là, dit-on, une intervention légitime de l’assemblée populaire et de la majorité qui domine dans cette assemblée. La majorité a le droit de dicter ses volontés, d’avoir l’action prépondérante dans le gouvernement. C’est là tout simplement, dirons-nous à notre tour, un dangereux abus de mots et une équivoque, une prétention fondée sur une fausse interprétation du rôle légitime de la chambre des députés et sur une confusion. D’abord, quand même cette majorité dont on parle, dont on se prévaut sans cesse, serait aussi décidée, aussi réelle, aussi complète qu’on le dit, elle n’existe, elle n’a son action régulière et légale que dans les limites de la constitution donnée au pays et acceptée ; elle n’est pas seule dans l’organisation publique. La constitution a établi d’autres pouvoirs : elle a créé un sénat, elle a confirmé une présidence qui avait déjà son existence propre, et à chacun de ces pouvoirs elle a donné des droits, des prérogatives, des attributions également légitimes. Lorsqu’on parle toujours des droits du parlement, de l’application du régime parlementaire, est-ce que ce régime consisterait par hasard à supprimer directement ou indirectement deux des pouvoirs reconnus, pour concentrer la puissance publique dans une seule assemblée, dans une réunion de partis prétendant disposer de cette assemblée ? Lorsqu’on a perfidement affecté de rejeter sur M. le président de la république la responsabilité d’un interrègne ministériel prolongé en s’ingéniant à démontrer que le chef du pouvoir exécutif n’avait qu’à vouloir pour faire cesser la crise, qu’il n’avait qu’à livrer le gouvernement à la majorité, aux représentans des divers groupes réunis dans de si solennelles délibérations, est-ce qu’on a parlé sérieusement ? Si c’est ainsi, la chose est bien simple. Ce n’est plus le régime parlementaire, ce n’est plus même la constitution du 25 février par laquelle la république existe ; c’est la dictature d’une assemblée unique, la chambre des députés de Versailles est une convention ! Les radicaux ont raison en réclamant la suppression immédiate du sénat et de la présidence ! C’est l’idée radicale qui est au fond de ces prétentions agitatrices ; mais alors on sait que, s’engager dans cette voie, c’est prendre l’initiative d’une révolution, c’est