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préparé une vie facile au ministère nouveau ou reconstitué qui sort enfin de ce prodigieux gâchis dont on a offert le spectacle à la France.

Ce qu’il y a de grave, ce n’est point évidemment qu’une crise ministérielle ait pu se produire, ni même que l’enfantement ou la transformation d’un cabinet ait pu offrir des difficultés. Ce n’est là en définitive qu’un de ces accidens qui tiennent à la nature du régime parlementaire et auxquels suffit le jeu régulier des institutions. Ce qu’il y a de grave, de tristement significatif, c’est la manière dont la crise s’est produite, c’est tout ce qui a caractérisé et prolongé cette crise, c’est cette excitation à demi violente, à demi puérile des esprits, qui un instant a pu faire d’un simple changement de cabinet une sorte de suspension du gouvernement, l’épreuve d’un régime constitutionnel à peine inauguré d’hier. Nous avons aujourd’hui, il est vrai, la meilleure solution qu’on pût avoir dans les circonstances présentes. Le ministère est reconstitué avec M. Jules Simon comme président du conseil et ministre de l’intérieur, avec un des vice-présidens du sénat, M. Martel, comme garde des sceaux. Les autres collègues de M. Dufaure, moins M. de Manière, restent en fonctions, M. le duc Decazes aux affaires étrangères, M. le général Berthaut à la guerre, M. Waddington à l’instruction publique, M. Léon Say aux finances. C’est le dénoûment le plus naturel, le plus correct, et puisqu’il en est ainsi, nous ne demandons certes pas mieux que de souhaiter la bienvenue à ce cabinet métamorphosé ou recomposé, qui naît fort à propos pour mettre fin aux incohérences de ces derniers jours.

Qu’on ne s’y trompe pas cependant, la situation ne reste pas moins difficile. Le véritable danger est dans tous ces conflits qu’on se plaît à envenimer, dans ce système d’agitation par lequel on flairait par rendre tout gouvernement impossible, dans ces combinaisons artificielles et ces prétentions de partis qui, après avoir renversé M. Dufaure, peuvent tout aussi bien menacer le ministère reconstitué avec M. Jules Simon. Le mal est surtout dans l’action désordonnée et confuse de la chambre des députés, dans une majorité sans cohésion et sans direction, et si pour le moment on s’en est tiré à peu de frais, s’il y a encore un gouvernement suffisant, ce n’est point certes la faute de ceux qui, après avoir tout fait pour provoquer la dernière crise, n’ont rien négligé pour l’aggraver. On dissertera tant qu’on voudra, la première, la plus grave responsabilité de tout ce qui vient d’arriver doit peser devant le pays sur la gauche et les complaisans de la gauche, sur tous ces politiques de partis qui, sans rien écouter ou prêts à tout braver, ont été sur le point de compromettre les dernières garanties de paix intérieure.

Comment s’est-elle formée, en effet, cette situation ? Comment le dernier ministère a-t-il été conduit à ce point où il ne s’est plus senti l’autorité nécessaire pour rester au pouvoir ? Rien n’est plus facile sans doute que de rejeter la responsabilité sur le sénat. C’est le sénat qui a tout fait ! C’est le sénat qui a renversé le ministère et M. Dufaure, en