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toujours malade et hors d’état de prendre la campagne. À demi guéri seulement, il amena au roi 5,000 hommes devant Paris. Henri IV le reçut à bras ouverts et l’entretint immédiatement de sa conversion, que les catholiques sollicitaient. Turenne, qui à travers toutes ses variations resta toujours ferme dans sa foi, s’était pourtant déjà convaincu que rien ne pourrait maintenir en France un roi protestant ; la difficulté était de convaincre tant d’amis fidèles, La Noue, Du Plessis, les ministres surtout, qui gouvernaient les églises. Turenne voyait juste sans doute, mais ses ennemis estimèrent qu’en ne déconseillant pas la conversion il songeait surtout à lui-même et qu’il se voyait d’avance le chef du parti calviniste.

Quand Parme eut obligé Henri IV à lever le siège de Paris, Turenne fut chargé d’aller demander des secours à l’étranger. Il partit pour l’Angleterre, où il fut très bien reçu de la reine Elisabeth ; il en obtint des promesses de subside, puis passa en Hollande pour conférer avec le prince Maurice et se rendit à Dresde chez Christian, l’électeur de Saxe ; il faut lire dans De Thou et dans Du Plessis le détail de ces négociations !, Turenne y montre toutes les qualités d’un diplomate : il flatte l’amour-propre de l’électeur de Saxe ; à Berlin, avisé que l’électeur de Brandebourg hésitait à traiter Henri IV en roi de France, il s’emporta à froid contre l’empereur, qui refusait de reconnaître Henri IV et flatta ainsi la passion jalouse de l’électeur. À Heidelberg, il calma les susceptibilités de Jean Casimir, étonné qu’on ne fût pas d’abord venu à lui ; il gagna tous les princes et fit choisir pour être mis à la tête de l’armée un jeune homme, le prince d’Anhalt, dont personne n’avait peur ; il amena enfin avec Anhalt en Champagne une armée de 5,500 chevaux et de 11,000 hommes de pied. Henri IV devait une récompense à l’heureux négociateur ; il avait songé autrefois à lui donner la main de sa propre sœur ; il lui avait parlé plus tard de Charlotte de la Marck, l’héritière de Bouillon et de Sedan. En vertu du testament du dernier Bouillon, Charlotte ne pouvait épouser qu’un prince protestant et avec l’agrément du roi de France. Turenne avait d’abord refusé l’offre, cette fois il accepta. Si l’on pouvait en croire Sully, toujours bien suspect quand il s’agit de Bouillon, Henri IV aurait voulu tirer son protégé de ses grandes terres du midi, de l’Auvergne, du Quercy, du Limousin, l’éloigner des églises fanatiques du midi, le transporter du côté du nord. Turenne se laissa faire ; il se promettait sans doute de conserver son influence dans le midi tout en s’établissant et s’agrandissant dans le nord. Ennemi du duc de Lorraine, il avait dans Sedan une base d’opérations toute prête ; le jour même de ses noces, il surprit Stenay et donna cette place au roi. Sedan servait d’ailleurs au nouveau duc de Bouillon de cordon ombilical avec les princes allemands, qu’il