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conduire à Hesdin[1]. Sa prison dura deux ans dix mois, et au bout de ce temps il fut mis en liberté contre une rançon de cinquante-cinq mille écus, avancés par M. de Montmorency, deux jours avant la mort du duc d’Anjou, qui, après avoir échoué dans son expédition des Pays-Bas, n’avait plus fait que languir et avait fini à Château-Thierry sa vie trop agitée (1584). Nous avons retrouvé une lettre écrite par le vicomte pendant sa captivité à Mme de Bouré. Pour la comprendre, il faut savoir que le duc de Parme avait demandé à Turenne s’il voulait être son propre prisonnier ou celui du marquis de Roubais, général de la cavalerie d’Espagne. Turenne avait opté pour ce dernier, parce qu’il le savait besoigneux et craignait qu’en se déclarant prisonnier de Parme il ne pût obtenir sa liberté que par l’ordre du roi de France. Celui-ci offrit à Turenne de payer sa rançon s’il voulait ne plus porter les armes pour les calvinistes : le duc d’Anjou l’en pressa également, mais il ne voulut point manquer à ce qu’il devait à la religion qu’il avait choisie.

Rendu à la liberté, Turenne alla voir sa grand’mère à Chantilly ; ensuite il alla faire sa cour au roi, qui le reçut avec de grandes caresses, puis au roi de Navarre à Nérac. Il trouva ce dernier dans de grandes perplexités, plein de méfiance contre la reine Marguerite et inquiet des pratiques de la Ligue. La guerre civile était imminente : Turenne se donna tout entier au roi de Navarre ; ils faisaient ensemble des lieues à cheval en discourant par les chemins sur les dangers de l’avenir ; un jour « nous concluons, dit-il, que la cause était fondée en la justice divine et humaine, que Dieu la maintiendrait, qu’il fallait quitter tout plaisir pour penser à notre défense… que Dieu le maintiendrait en son droit, si la nature lui en ouvrait l’occasion. Sur cela, il me dit avec ferveur : C’est de là que j’attends mon secours, et sous cette enseigne je combattray nos ennemis ; m’abandonnerez-vous pas, ainsi que vous l’avez déjà fait ? »

La guerre décidée, Turenne alla faire des régimens vers la Dordogne, et réunit en cinq semaines 5,000 à 6,000 hommes de pied et 500 à 600 chevaux : ici finissent les mémoires personnels de Turenne, et on ne peut que le regretter infiniment. C’est dans la grande Histoire de De Thou[2] qu’il faut chercher des détails sur les années qui suivirent. Turenne s’y montre toujours le même, ambitieux, audacieux, plein de soupçons, riche en expédiens. Son orgueil est sans bornes. La reine mère alla conférer à Saint-Bris, près de Cognac, avec le roi de Navarre, Condé et Turenne. Les conférences rompues, elle se retira à Niort et à Fontenay. Le roi, essayant

  1. Nous avons une lettre écrite d’Hesdin le 29 octobre 1581, relative à des hardes laissées à Paris.
  2. Cette Histoire a servi de texte à l’Histoire du duc de Bouillon par le père Marsollier, livre au reste très estimable.