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Huguenots. Le vicomte son neveu appela autour de lui à Turenne la noblesse du pays. C’est là qu’il apprit la mort du roi Charles (30 mai 1574) et la régence de la reine mère.

L’empereur et les princes d’Italie conseillèrent au nouveau roi de donner la liberté de conscience à ses sujets. Le duc de Savoie offrit même à Damville de l’accommoder avec Henri III et le fit venir à Turin. On ne put s’entendre ; le roi, arrivé à Lyon, fit une déclaration qui remit les armes aux mains de ceux de la religion. Turenne demanda en vain au roi la permission de se rendre auprès de lui : il fut rejeté en quelque sorte de force dans la ligue que Damville venait de faire de tous les mécontens. On lui donna la lieutenance générale de la Guienne, et il alla tout de suite au secours de Montauban, bloqué par les troupes royales. Il continua de faire la guerre dans le Quercy et y fut atteint d’une fièvre continue dont il pensa mourir. Pendant sa maladie, il prit le projet de changer de religion : « Mes péchés et mes transgressions paraissaient devant moy, mes œuvres sans mérite, quoiqu’on m’eût dit qu’il y en avait qui aidaient à sauver ; de sorte que ma condition, estait fort misérable, et la perturbation de mon âme qui augmentait celle du corps ; Dieu eut pitié de moy en faisant servir cette maladie pour me le faire connaître. »

Nous sommes portés à croire à la sincérité de ce changement. Les historiens ont presque tous supposé que la religion n’avait été pour Turenne qu’un instrument de fortune et d’ambition. Tout cependant l’attachait à la puissante famille des Montmorency, et les chefs de cette maison, vrais politiques, ne voulurent jamais renoncer à l’ancienne religion. Turenne ne fut jamais un fanatique, mais il ne sauta pas « le fossé » avec Henri IV ; il n’aimait guère les prêcheurs et les ministres, cependant à travers toutes les contradictions de sa vie on retrouve toujours chez lui je ne sais quelle note frondeuse, le ton dur et hautain, ce je ne sais quoi qui faisait le huguenot du XVIe siècle.

Le duc d’Alençon se sauva de la cour et donna une grande force aux rebelles en se mettant à leur tête. Turenne se réjouit d’abord de pouvoir servir celui que depuis l’enfance il avait en quelque sorte choisi pour suzerain, mais il avait quitté la messe, et le duc d’Alençon voulait lui faire abandonner la religion, le menaçant, s’il nèfle faisait, de lui retirer ses bonnes grâces. Turenne tint bon, et ce fut le commencement de leur brouille. Monsieur ne fut pas long à traiter, et, quand les négociations s’entamèrent, Turenne demanda le gouvernement de l’Anjou et du Berry. Monsieur lui fit froide figure, et Turenne prit le parti de quitter l’armée. Il songea dès lors à se lier au roi de Navarre : celui-ci avait quitté la cour et, abjuré la religion romaine, qu’on lui avait fait prendre de force.