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cause, d’être enlevée par surprise ; aussi, à peu de temps de là, La Noue offrait encore au duc d’Alençon de se mettre à la tête des protestans. Sa lettre tomba entre les mains de la reine mère ; Turenne, qui l’apprit à temps, dicta promptement au duc d’Alençon une lettre dans laquelle ce dernier repoussait les offres de La Noue. Le duc d’Alençon alla montrer cette réponse à la reine et feignit l’étonnement en ne trouvant point dans ses habits la lettre de La Noue. Ce stratagème ne trompa peut-être pas la reine, mais elle simula de croire ce qu’on lui disait.

On discuta pourtant, dans la petite cour du duc d’Alençon, les offres de La Noue. Turenne aboucha le prince avec le maréchal de Montmorency. Tous deux lui conseillèrent de ne pas se livrer aux protestans, d’attendre la mort du roi, d’empêcher le retour de son frère : il valait mieux être roi de France que chef de rebelles, si puissans qu’ils pussent être. Le maréchal demanda au roi la lieutenance générale du royaume pour le duc d’Alençon ; Charles IX, qui se voyait mourir, consentit à tout. Ces projets furent traversés par la reine mère, et le duc d’Alençon, irrité, ourdit une véritable conspiration avec La Noue, avec tous les ennemis des Guise, avec le roi de Navarre, avec Turenne, avec Thoré et Damville, les frères du maréchal de Montmorency : celui-ci, vrai politique, refusa d’y entrer, ne voulant rien entreprendre contre l’autorité royale. Un des conjurés, Guitry, prit les armes dix jours trop tôt. Le roi de Navarre, rencontrant le vicomte de Turenne au palais, lui dit tout bas : « Notre homme dit tout. » Notre homme n’était autre que le duc d’Alençon. Il ne trahit pourtant pas Turenne. « Ainsi que j’entrai, dit celui-ci dans ses Mémoires, je le void (le duc d’Alençon) parlant à Mme de Sauve, riant comme s’il n’y eut eu rien, il la quitta et me dit : « Je n’ai rien dit de vous, sinon qu’en général vous m’aviez promis de faire tout ce que je vous dirais. » Turenne trouva moyen d’être envoyé avec Torcy vers Guitry pour obtenir que celui-ci mît bas les armes : il lui apporta des sauf-conduits et l’amena à la cour. En route, on convint de ce que Guitry devait dire.

Turenne, devenu plus prudent, refusa de renouer les fils de la conspiration un moment brisés. Peu après, La Môle et de Coconnas eurent la tête tranchée, les maréchaux de Montmorency et de Cossé furent arrêtés ; Turenne apprit qu’il était lui-même surveillé, il prit la fuite et se rendit en Auvergne par des chemins détournés et à travers de grands périls, car tous les gouverneurs des villes avaient reçu l’ordre de l’arrêter.

La découverte de la conspiration n’empêcha pas une prise d’armes. La Noue souleva le Poitou : Damville, irrité de l’arrestation de son frère le maréchal de Montmorency et à peu près indépendant dans son gouvernement du Languedoc, s’unit aux