Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant détestable et horrible journée du massacre fait sur ceux de la religion, où Dieu me conduisit par la main, en telle sorte que je ne fus ni massacré ni massacreur, pour le premier ayant couru fortune sur la délibération qu’on prit de tuer tous ceux de la maison de Montmorency, ce qui se serait exécuté sans que M. de Montmorency n’estait à Paris, mais en sa maison de l’Isle-Adam. Ceux qui voulaient profiter des biens de cette maison concluaient à ma mort, pour être sorti de sa fille aînée, ainsi que Monsieur[1] me dit quelques jours après, y ayant, ce me disait-il, porté tout empêchement. »

La guerre civile recommença, et, bien que Turenne eût déjà embrassé dans son cœur la cause opprimée, il ne résista pas à l’envie de gagner ses éperons et obtint de ses oncles de Montmorency de se rendre, malgré une fièvre qui le minait, au siège de La Rochelle. Il s’y rétablit, fit preuve d’une vaillance encore toute juvénile et téméraire, et ne sut pas se défendre contre l’esprit d’intrigue que le duc d’Alençon portait jusque dans les camps. Le duc méditait une prise d’armes et une alliance avec les assiégés. Son frère d’Anjou surveillait ses menées : un jour Turenne portait dans sa manche, entre la chair et la chemise, une déclaration préparée par Alençon qu’il devait faire voir à La Noue[2]. Il s’en alla au quartier du duc d’Anjou ; « il commença à se jouer avec nous et prend mon bras, où j’avais ce papier ; soudain il le sentit et me dit que c’était un poulet qui estait venu de la cour, et s’efforçant, me déboutonne ma manche et lève ledit papier ; mon danger me fit perdre tout respect, je lui sautai aux mains et lui ostay, en lui faisant croire que c’était une lettre de femme, que pour rien au monde je ne voudrais qu’il en eût veu l’escriture. »

Les conjurés songèrent un moment à fuir sur les vaisseaux anglais et à chercher un asile auprès d’Elisabeth : La Noue les fit renoncer à ce projet. On traita heureusement avec La Rochelle, et les mauvais desseins s’en allèrent en fumée. Les négociations avaient été hâtées par les nouvelles de Pologne, où le duc d’Anjou avait été élu roi. Avant de se résoudre à partir, celui-ci fit tout ce qu’il put pour gagner Turenne, il le pria vainement de l’accompagner en Pologne ; à Nancy, il lui proposa la main de M, le de Vaudemont, qu’il devait épouser lui-même plus tard. Il avait pénétré Turenne, il voulait le brouiller avec son frère Alençon et avec les Montmorency, l’attacher aux Guises, qu’il ne détestait pas encore. Turenne refusa toutes ses offres.

La Rochelle n’était pas bien apaisée ; elle redoutait, non sans

  1. Le duc d’Alençon.
  2. La Noue essayait très loyalement de jouer le rôle de conciliateur entre les Rochellois et l’armée royale.