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aujourd’hui faits au hasard et par suite souvent inutiles ; les efforts qui n’ont pour but que de ruiner des concurrens seraient dirigés désormais vers un but profitable à tous ; le travail des ouvriers serait plus productif, parce que tout le produit devant leur appartenir ils tâcheraient à l’envi de le rendre aussi grand que possible, et enfin les oisifs, ne pouvant vivre sans rien faire, rentreraient dans les rangs de la grande armée des producteurs qui dès lors comprendrait tous les citoyens.

On le voit, les plans de réforme sociale de Lassalle n’impliquaient pas une révolution violente. En réalité, c’était l’idée développée, dès 1841, par M. Louis Blanc dans son livre l’Organisation du travail, avec cette différence que le réformateur allemand, au lieu de s’attaquer aux principes de l’économie politique, les invoquait pour réclamer la transformation du régime actuel. Quant au but à atteindre et qui consiste à multiplier les sociétés coopératives de production, personne apparemment n’aurait d’objection à y faire. La solution serait parfaite, puisque, le capital et le travail étant aux mêmes mains, toute hostilité entre ces deux facteurs de la production disparaîtrait[1] ; mais l’instrument de la rénovation sociale rêvée par Lassalle et par Louis Blanc, la société coopérative de production, est-elle viable et peut-on espérer que, même généreusement, et au besoin gratuitement subventionnée par l’état, elle l’emporte sur les entreprises particulières et prenne leur place ? C’est là le point essentiel d’où tout dépend. Dans un petit écrit, qui date de 1866, intitulé : Illusions des sociétés coopératives, M. Cernuschi, qui, pour mieux étudier la question, avait exploité trois boucheries, montra toutes les difficultés que présente l’application du système. Ce sont d’abord de très grandes complications d’écritures. En second lieu, la difficulté de surveiller les gérans et de s’assurer de leur probité ou de leur activité. M. Cernuschi cite un extrait d’une brochure anglaise, Checks on coopérative store-keepers, où on lit que, parmi les difficultés rencontrées par le mouvement coopératif, aucune n’a été aussi désastreuse dans ses

  1. Au huitième congrès des sociétés coopératives, réunies cette année au mois d’avril à Glasgow, sous la présidence de M. Edward Caird, professeur en cette ville, M. Hodgson, professeur d’économie politique à l’université d’Edimbourg, a parfaitement mis en lumière les avantages de la coopération. Le capital et le travail sont indispensables ; mais faites-en deux classes, capitalistes et ouvriers, et ils seront en lutte. S’il n’y a plus qu’une classe possédant les deux facteurs de la production réunis, l’antagonisme n’est plus possible. M. Hodgson voudrait voir la coopération prendre la place de « l’unionisme. » Les trade unions sont un instrument de guerre, la coopération un acheminement vers la paix au sein de l’atelier. M. Holyoak a constaté que les sympathies des « unionistes » pour la coopération devenaient plus vives, et il espère qu’ils entreront peu à peu dans le mouvement coopératif.