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et le travailleur entre en possession de tout son produit. Les sociétés de ce genre qui ont été établies à Paris, en Angleterre, et dont celles qu’ont fondées les « Équitables pionniers de Rochdale » sont les plus connues, ne permettent plus de mettre en doute le succès possible démette combinaison. Mais le seul moyen d’assurer les progrès de ces sociétés, c’est d’en augmenter considérablement le nombre, et pour cela, il faut l’intervention de l’état. Quand Schulze-Delitzsch la repousse, il fait, dit Lassalle, de la politique de « veilleur de nuit. » Le rôle de l’état n’est pas seulement de maintenir l’ordre, mais de favoriser tous les grands progrès de la civilisation. Et c’est ce qu’il a toujours fait. N’est-ce pas à l’intervention de l’état que l’on doit les routes, les ports, les canaux, les postes, les télégraphes, les écoles ? Quand il s’est agi de la création des chemins de fer, l’état n’a-t-il pas donné des subsides ou garanti des minimums d’intérêts aux compagnies ? Pour les sociétés coopératives, il faudrait moins d’avances que pour les lignes ferrées. Lassalle estimait que pour la Prusse 100 millions de thaler auraient suffi. Il ajoutait que cela ne devait rien coûter aux contribuables. Il fallait, d’après lui, instituer une grande banque centrale ayant le monopole de l’émission des billets. Elle pourrait facilement en maintenir en circulation pour 300 millions avec une encaisse de 100 millions. Elle aurait trouvé ainsi de quoi prêter aux sociétés coopératives 100 millions qui ne lui auraient rien coûté du tout. Ces sociétés s’établiraient d’abord dans les districts qui s’y prêteraient le mieux par leur genre d’industrie, la densité de la population et les dispositions des ouvriers. Successivement il s’en fonderait d’autres dans toutes les branches du travail et même dans les campagnes. L’agriculture pratiquée en grand donne un produit net plus considérable, mais elle a cet inconvénient qu’elle exclut la petite propriété : la coopération agricole réunirait les avantages de la petite et de la grande culture. Avec 100 millions de thaler, on fournirait le capital industriel indispensable à 400,000 ouvriers, et avec les intérêts annuels à 5 pour 100, soit 5 millions de thaler, on apporterait chaque année les bienfaits de l’association à 20,000 ouvriers avec leurs familles. Ces sociétés établiraient entre elles des relations de solidarité et de crédit qui leur assureraient une grande solidité. Ainsi après quelque temps la nation, au lieu d’offrir le tableau de capitalistes et d’ouvriers hostiles, serait entièrement composée d’ouvriers-capitalistes groupés d’après le genre de leurs occupations. L’état n’aurait nullement à jouer le rôle de directeur ou d’entrepreneur d’industrie, bien moins qu’il le fait aujourd’hui dans les chemins de fer qu’il exploite. Tout ce qu’il aurait à faire, ce serait d’examiner et d’approuver les statuts des sociétés, et d’exercer un contrôle suffisant