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production de ceux qui sont obtenus dans les conditions les plus onéreuses qui déterminent le prix général : telles sont, par exemple, les denrées agricoles. Enfin il est une troisième espèce de choses que l’on peut multiplier à peu près tant qu’on le désire, comme les objets manufacturés. Le prix en sera réglé par les frais de production des marchandises fabriquées dans les conditions les plus favorables, c’est-à-dire avec le moins de sacrifices. Le travail considéré comme marchandise appartient évidemment à cette troisième catégorie, car le. nombre des bras augmente généralement en raison de la demande. Le prix du travail, c’est-à-dire le salaire, sera donc déterminé par le minimum du coût d’entretien du travailleur, minimum qui répond ici aux moindres frais de production de cette marchandise particulière, la force productive du travailleur. Si telle est la loi générale, les institutions préconisées par M. Schulze-Delitzsch, pas plus que les anciennes œuvres de bienfaisance et de patronage, ne peuvent avoir pour effet d’améliorer le sort des classes laborieuses en général. La raison en est simple : tant qu’il ne s’agit que d’un certain nombre d’ouvriers, ceux-là auront évidemment un avantage à obtenir d’une société de consommation, à meilleur compte et de meilleure qualité, les denrées dont ils ont besoin ; mais si la plupart des ouvriers profitaient de ces institutions, il s’ensuivrait qu’ils vivraient comme aujourd’hui, mais avec une moindre dépense ; le minimum de leurs frais d’entretien, c’est-à-dire les frais de production du travail diminueraient, et comme ce minimum est le niveau auquel la concurrence finit par ramener le salaire, il s’ensuivrait que celui-ci baisserait à proportion que l’entretien de l’ouvrier deviendrait moins coûteux. Lassalle croyait montrer ainsi l’inanité des efforts de M. Schulze-Delitzsch et des philanthropes bourgeois qui prétendent améliorer le sort des classés laborieuses sans changer l’organisation actuelle de la société. Toutes les tentatives que leur bon cœur inspire viennent se briser contre « la loi d’airain. »

Ces raisonnemens, fondés sur les principes généralement acceptés de la science orthodoxe, valurent à Lassalle les attaques les plus vives du journalisme libéral-national. Il y répondit avec non moins de véhémence[1]. Il n’eut point de peine à démontrer que la théorie du salaire qu’il avait exposée, quelque désolante qu’elle parût, était celle des maîtres de l’économie politique, d’Adam Smith, J.-B. Say, Ricardo, Stuart Mill, Rau, Roscher, Zachariä, et de tous leurs disciples. Avant eux tous, Turgot avait formulé la même idée

  1. Zur Arbeiterfrage, — Rede zu Leipzig am 16 avril 1863, — Rede su Francfurt am 17 und 19 mai 1863.