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comme œuvre littéraire, mais curieux comme thèse politique. Il y développe cette idée, reproduite depuis par M. de Bismarck, que les grands changemens historiques se sont toujours accomplis « par le fer et le feu. » Il portait jusqu’au fanatisme l’idée de l’unité allemande. En 1859, il publia une brochure sur la Guerre d’Italie et la mission de la Prusse, dans laquelle il expose à la démocratie allemande le même plan de campagne que M. de Bismarck osa proposer au roi de Prusse, et que, devenu chancelier, il devait mettre à exécution sept ans plus tard. On se rappelle qu’alarmé par les victoires des armées françaises en Lombardie, le roi de Prusse se préparait à répondre à l’appel que lui adressait l’empereur d’Autriche et à porter un corps d’armée sur le Rhin. Politique absurde, dit Lassalle. Que la haine du despotisme ne nous aveugle pas : Napoléon III fait les affaires de la démocratie et de l’Allemagne. En favorisant la constitution de l’unité italienne, il provoque réclusion de l’unité germanique. L’ennemi mortel et irréconciliable de l’unité de l’Allemagne, c’est l’Autriche ; donc la Prusse doit s’allier à la France contre l’Autriche, et profiter de cette alliance pour grouper tous les peuples allemands sous son hégémonie. Lassalle fit même le voyage d’Italie avec la comtesse de Hatzfeldt, et vit Garibaldi, qu’il engagea à tenter une expédition sur Vienne pour que l’unité italienne et l’unité germanique pussent s’établir sur les ruines de l’Autriche. Le roi de Prusse, fidèle à son allié de la confédération, ne goûta pas ces idées, quoiqu’elles lui. fussent présentées avec insistance par M. de Bismarck, et Napoléon III se vit forcé de faire la paix de Villafranca ; mais en 1866 le programme de Lassalle se réalisa de point en point. Ses amis les démocrates, qui l’avaient combattu, ne l’avaient pas mieux compris que le roi Guillaume ne comprit M. de Bismarck en 1859.

Vers cette époque, il quitta Dusseldorf pour se fixer à Berlin. Comme en raison de sa condamnation en 1849 cette résidence lui était interdite, il y pénétra déguisé en charretier, puis il obtint du roi, par l’entremise de Humboldt et malgré l’opposition de M. de Manteuffel, l’autorisation d’y séjourner. Son amie dévouée, la comtesse de Hatzfeldt, l’y avait suivi. Tous deux travaillaient sérieusement et voyaient la société des savans, des gens de lettres et des philosophes. Lassalle fut même nommé membre de la Société de philosophie comme auteur du livre sur Héraclite d’Éphèse, et chargé de prononcer le discours aux fêtes données en l’honneur de Fichte. Il y fait le tableau de la philosophie moderne en Allemagne et s’efforce de prouver que les théories de Kant, de Fichte et de Hegel ne sont que le développement logique d’un même système. La forme de ce discours était trop abstraite et ne plut guère au