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beau comme aucun autre, svelte comme un jeune sapin, fort comme, un ours, vaillant comme un faucon. Sa misère le forçait à servir, et c’était le plus honnête des serviteurs ; il travaillait pour trois ; il ne pouvait réussir cependant à rester longtemps dans le même lieu, car d’abord il ne manquait jamais de poursuivre les femmes, et autant il y avait de jupes dans la maison, autant il faisait des victimes ; d’autre part il était fier et emporté, se souciant de rosser le fils de la maison ou le maître lui-même, si l’occasion s’en présentait. Ces deux défauts-là sont déplaisans chez un valet, et ils furent cause qu’à la fin personne ne voulait plus de lui. Il avait donc toujours recours à son frère aîné Woitech ; mais, bien que celui-ci chérît tendrement son cadet, il avait grand’peine à le nourrir, étant gueux lui-même.

Bref, Wassili trouva enfin un service qui lui convenait. Il entra en qualité de chasseur chez le jeune comte Xavier. C’était un frère de notre comtesse, qui, devenue veuve, s’est retirée au couvent, un beau-frère par conséquent du comte Agénor, et le seul homme que ce dernier, sombre et méchant qu’il était, eût jamais aimé. Pour cette raison, il l’avait accueilli dans son château comme un fils après que l’étourdi eut dissipé son bel héritage, — il ne lui avait fallu, ma foi ! que trois années pour cela. — Ce jeune comte était tout à fait le maître qui convenait à Wassili, car, comme lui, il était gai et beau et hardi, et chaque femme qu’il n’avait pas encore possédée le tentait. Ces deux enragés réunis devinrent un vrai fléau pour les seigneurs et pour les citadins, pour les Juifs et pour les paysans, un fléau pour tous, car aucun minois n’était en sûreté avec eux, et il n’y avait pas moyen d’échapper à leur charme maudit. Pas une ne résistait sinon au comte, du moins au chasseur, ou sinon au chasseur, du moins au comte. L’un renonçait de bonne grâce à celle qui plaisait à l’autre ; c’étaient entre eux de singuliers rapports, comme entre camarades, et quand il s’agissait de braver les dangers ou de supporter les suites de leurs entreprises, ils s’entr’aidaient honnêtement. Il y avait aussi un troisième associé à ces sortes d’aventures, un nommé Maciek, qui servait aux deux autres d’espion, le valet de chambre du comte, le plus vilain des bossus, un Mazoure, et plus lâche encore que ne le sont d’ordinaire les gens de son pays[1].

Les tours que le comte et son chasseur parvinrent à exécuter avec l’aide de ce chien-là ne se raconteraient pas en trois mois. Toutefois on ne pouvait les prendre. Ils ne faisaient aucune violence ;

  1. Il y a entre les paysans de la Gallicie orientale et ceux de la Gallicie occidentale une aversion profonde qui vient des différences de caractère, de race, de langue et de croyance.