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comme les taxes acquittées par les Tatars, les Nogaïs et les Kalmouks d’Europe, sont compris dans le revenu général de l’impôt direct. Grâce à cette confusion, il est difficile de se rendre compte de ce que rapportent et de ce que coûtent à la Russie les immenses régions placées sous la domination russe. En dehors de la Sibérie occidentale, cet énorme empire asiatique doit encore pendant longtemps être pour la mère patrie une source de dépenses. Le Turkestan surtout, théâtre d’expéditions et de guerres continuelles, a dans ces dix dernières années lourdement pesé sur les finances impériales, et les contributions de guerre n’ont pu solder seules les glorieuses expéditions du Khiva et du Khokand[1].

Le total des revenus ordinaires de l’empire est évalué pour l’année 1876 à près de 535 millions de roubles. Si aux recettes effectives l’on joint les recettes d’ordre, l’on arrive à 560 millions ; en ajoutant les ressources spéciales affectées à la construction des chemins de fer et des ports, l’on dépasse 570 millions de roubles, total général de l’évaluation des recettes pour l’année courante. En 1874, les recouvremens effectués ont atteint près de 558 millions ; en 1875, 576 millions, ou 18 millions de roubles de plus que l’année précédente. C’est là un gros chiffre, d’autant plus qu’il ne comprend pas toutes les sommes qui passent par les mains de l’état, mais laisse de côté le fonds de rachat des terres des anciens serfs et le fonds spécial des chemins de fer. En calculant le rouble au pair, le total des recettes brutes affectées aux services généraux monterait à environ 2 milliards 300 millions de francs ; en tenant compte de la dépréciation du papier russe au change moyen de ces dernières années, l’on resterait encore peu au-dessous de 2 milliards de francs. C’est déjà là un budget en rapport avec la grandeur de l’empire, un budget sensiblement égal à celui de la riche Angleterre. De tous les états de l’Europe, un seul dépasse de pareils chiffres, la France, chargée par ses récens désastres d’un poids sous lequel tout autre état du continent eût plié[2].

  1. Le royaume de Pologne n’a plus depuis 1867 de budget particulier ; les dépenses et les recettes des provinces de la Vistule sont englobées dans le budget des différens ministères. Le grand-duché de Finlande au contraire, qui a gardé son autonomie, a ses finances particulières entièrement indépendantes des finances russes. Le grand-duché ne contribue au revenu général de l’empire que pour une somme modique, 108,0110 roubles en 1871, 158,000 en 1872, 197,000 en 1873. D’après la Gazette de Moscou (6/18 février 1875), la Finlande ne couvrirait qu’une faible partie des dépenses effectuées à son profit par le trésor russe, soit 2,900,000 roubles en 1871, 2,200,000 en 1872, 2,400,000 en 1873. D’après la même feuille, les provinces de la Vistule, au contraire, donnent régulièrement an excédant des recettes sur les dépenses, en sorte que l’absorption du budget du royaume de Pologne par le budget russe a profité au dernier.
  2. Comme dans tous les budgets il entre des recettes qui ne représentent pas des ressources réelles, et que de plus les services abandonnés aux administrations locales ne sont point les mêmes dans les divers pays, tout rapprochement de ce genre ne peut être qu’approximatif. Pour établir une comparaison quelque peu précise entre deux budgets, il faudrait en décomposer les différens chapitres. Je remarquerai seulement qu’en tenant compte du fonds spécial des chemins de fer et du fonds de rachat des terres, sans parler du budget de la Finlande, le trésor russe doit recevoir ou détenir dans ses caisses des sommes peu inférieures aux sommes perçues par le trésor français. La grande différence est que, malgré l’existence légale du cours forcé dans les deux états, les ressources du trésor français peuvent être regardées comme fixes et stables, tandis que les ressources de la Russie sont exposées à toutes les fluctuations du change et aux défaillances possibles d’un papier déprécié.