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De quel procédé s’est servi pour cela le gouvernement du tsar ? D’un procédé simple, partout recommandable en pareille occurrence : on a donné aux agens du fisc, aux percepteurs de la taxe, un traitement élevé qui, s’il ne les met pas à l’abri de toute tentation, les aide à y résister. Le moyen a réussi ; le seul inconvénient est qu’étant mieux, rétribués que la plupart des autres administrations, les employés de l’accise des boissons excitent des jalousies contre ce que le public appelle leur immoral privilège. Dans ce service envié, il y a aussi des inégalités de traitement qui peuvent nuire aux intérêts du fisc. Les inspecteurs des distilleries, qui n’ont qu’un salaire modeste, ne sont peut-être pas tous inaccessibles à la séduction, et l’état peut ainsi éprouver quelque dommage. La fraude lui en fait subir un bien plus considérable. L’accise des boissons, l’immense tonneau officiel du fisc, a de ce côté des fissures par où fuit une bonne partie du précieux liquide, et que les agens du gouvernement ne savent point découvrir ou ne peuvent fermer.

En Russie, comme partout en effet, l’impôt sur l’alcool est, par son énormité même, celui qui stimule davantage le génie inventif de la fraude. En Russie comme en France, l’élévation des droits ne fait qu’encourager le commerce clandestin en le rendant plus avantageux. Or depuis la suppression de la ferme, la taxe a par deux fois, en 1864 et en 1873, été notablement élevée. La consommation s’en est chaque fois ressentie. A la suite d’une première augmentation de 25 pour 100, la consommation est tombée de 27 millions de védros à 24 millions, et la moyenne par âme, par habitant mâle, de 1,05 à 0,92 védro[1]. En 1873, l’accise a été portée de 6 roubles à 7 par védro ; l’effet a été le même. De 27 millions de védros, la consommation est temporairement descendue à 26 et la moyenne par âme de 0,98 à 0,94, c’est-à-dire à moins de 6 litres par personne de tout sexe et de tout âge.

L’accroissement des recettes n’a donc pu être en proportion de l’accroissement des droits. Les écrivains qui prévoyaient une diminution dans le rendement de l’impôt ont cependant reçu des faits un démenti. La progression d, es recettes a été considérable et normale. En dix ans, de 1863 à 1874, la plus-value a été d’environ 90 pour 100. De 108 millions en 1863, le revenu des spiritueux est monté à 122 millions en 1866, à 163 millions en 1870, à 179 millions en 1873, à 200 millions en 1874, c’est-à-dire, en comptant le rouble au pair, à 800 millions de francs. Il est vrai que ce chiffre

  1. Le védro vaut 12 litres. A la fin du régime de la Terme, la consommation était presque double de ce qu’elle était dans ces dernières années, 50 millions de védros ou 6 millions d’hectolitres, Schnitzler, t. III, p. 601. A la taxe actuelle de 7 roubles par védro ou par 12 litres, il faut ajouter l’impôt BUT les patentes des débits de boissons.