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Le système financier est ce qui en Russie s’est le moins modifié depuis des siècles, ce qui a le plus échappé au besoin de réforme qui a tout renouvelé dans l’empire du Nord. Il y a eu des changemens dans le mode de répartition et le mode de perception, peu dans l’assiette de l’impôt ; il y a eu quelques améliorations de détail, mais aucune de ces transformations générales comme en d’autres services publics, comme dans la justice, l’administration ou l’armée. La Russie, à cet égard, en est encore à peu près au régime en vigueur sous Pierre le Grand, on pourrait même dire au régime en vigueur dans l’ancienne Moscovie. Le budget russe s’est démesurément accru, il a presque décuplé depuis la fin du dernier siècle ; de millions en millions, recettes et dépenses se sont élevées au-dessus de deux milliards de francs, sans que la base fiscale ait varié, sans qu’elle se soit même beaucoup élargie. Par l’énormité des chiffres, ce budget est tout moderne ; par le mode d’imposition et l’assiette des taxes, il garde quelque chose d’ancien, d’archaïque. Comme au temps de Pierre le Grand, les deux principales sources de revenu sont la capitation et l’impôt sur les spiritueux. Le principal changement est l’interversion du rôle de chacune de ces deux contributions, la taxe indirecte étant là comme partout, devenue beaucoup plus productive que l’impôt direct, dont au début elle n’était que l’auxiliaire.

Le premier résultat d’un tel système de taxation, c’est que tout le faix des charges de l’état retombe sur les classes inférieures de la société. Grâce à l’antiquité même de ses ressorts, le budget russe demeure, à bien des égards, un budget d’ancien régime. Dans son ensemble comme dans plusieurs de ses détails, il porte encore la marque des époques où l’état ne demandait à l’élite de la nation qu’un service personnel, et où le peuple devait seul fournir à toutes les charges publiques. L’impôt sur l’alcool et l’impôt direct, qui réunis forment environ les deux tiers des recettes, sont presque exclusivement payés par les classes les plus dénuées de la nation, et du tiers restant les mêmes classes acquittent encore une bonne part. Des écrivains russes ont été jusqu’à dire, non sans quelque exagération, que les classes aisées supportaient à peine un dixième de l’impôt. Les taxes sur les objets de première nécessité ou d’usage général sont nombreuses et lourdes ; les droits sur les objets de luxe, sur la richesse ou la propriété même, sont relativement rares et légers. Certes c’est là un défaut économique, en même temps qu’un défaut de justice, et un tel régime financier n’est plus en harmonie avec les récens progrès de la liberté et de l’égalité dans la Russie moderne. Au maintien d’un tel régime il y a cependant une excuse, sinon une raison, c’est l’état économique