Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

Les finances russes ne sont plus enveloppées des ombres mystérieuses qui les dissimulaient jadis aux regards des nationaux ou des étrangers. « En Russie, un budget serait une révolution, » écrivait ici même M. Léon Faucher au début de la guerre de Crimée[1]. Cette révolution s’est faite pacifiquement, sous l’empereur Alexandre II, et elle a presque passé inaperçue au milieu des nombreuses réformes du règne. C’est, je crois, en 1862 que le gouvernement a pour la première fois confié au public, sous une forme encore imparfaite, le relevé de ses recettes et de ses dépenses. C’est en 1863, à l’avènement aux affaires du ministre actuel des finances, M. de Reutern, que le budget russe présenta pour la première fois, sur un plan régulier, l’ensemble des ressources et des charges de l’état. Ces comptes-rendus, depuis lors publiés chaque année, ne sont pas seulement des budgets de prévision, inscrivant plus ou moins fidèlement les recettes à percevoir et les dépenses à effectuer ; ce sont aussi des exposés sérieux, bien qu’un peu brefs, des revenus acquis à la fin de chaque exercice. Il n’y a là rien de commun avec les budgets arbitraires de la Porte ou les budgets frauduleux de l’Égypte, que le ministre aujourd’hui exilé du khédive enflait à la veille des emprunts et réduisait à la veille des échéances. S’il est un problème difficile, c’est d’avoir des finances régulières et un budget contrôlé, dans un pays où il n’y a point de parlement pour voter les fonds et en vérifier l’emploi ; cet insoluble problème, la Russie l’a résolu aussi bien que peut le faire un gouvernement absolu. Le budget est soumis aux délibérations du conseil de l’empire et aux vérifications d’une institution spéciale appelée le contrôle de l’empire.

Il n’est pas inutile de dire quelques mots de cette institution et d’une organisation bureaucratique qui, sans avoir en rien modifié le système financier de la Russie, est pour beaucoup dans l’amélioration de ses finances. Une commission spéciale avait, selon les usages du règne actuel, été chargée d’examiner les changemens à introduire dans le mode de rentrée des recettes et le mode de paiement des dépenses, dans la comptabilité du trésor et le contrôle. Ce n’était là qu’une mission restreinte et modeste, touchant à la forme

  1. Voyez, dans la Revue du 15 août et du 15 novembre 1854, les Finances de la guerre, par M. Léon Faucher, et la réponse de M. Tengoborski. — L’étude sur les Finances de la Russie, de M. Wolowski, publiée dix ans plus tard (Revue du 15 janvier et 1er mars 1864, donne un autre point de comparaison et peut servir à marquer l’étape intermédiaire entre l’ancien ordre de choses et l’époque actuelle.