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tendresse paternelle. » Si l’Autriche craignait un bouleversement total, « c’était moins, infiniment moins (je réponds de ce que je dis ici) à cause des liens de famille qu’elle a contractés avec Napoléon que par la sagesse et la modération générale de ses principes… » Gentz approuvait fort Metternich de croire, « dans sa sagesse, que le rétablissement des Bourbons servirait bien plus l’intérêt particulier de la Russie et de l’Angleterre que celui de l’Autriche… ; » que, « par les liaisons qu’il entraînerait entre la France et la Russie, il compromettrait entièrement les intérêts de l’Autriche et les intérêts bien entendus de l’Allemagne et de tous les états indépendans, y compris la Porte-Ottomane, et bouleverserait de nouveau toutes les combinaisons et tous les calculs politiques. »

Ces inductions, en ce qui concerne l’Autriche, étaient fort politiques, et l’histoire les justifie ; Metternich voyait dans le rétablissement des Bourbons une gêne et un danger pour la politique orientale de l’Autriche ; ce n’étaient toutefois que des craintes, d’advenir, et elles se plaçaient au second plan. L’Italie dominait alors dans les préoccupations de Metternich, et il considérait avec raison que la restauration des Bourbons de France serait un obstacle redoutable aux projets ambitieux de l’Autriche sur la péninsule. A Prague, il s’était réservé « la direction suprême et l’organisation définitive » des affaires d’Italie ; il n’exceptait point le domaine temporel du saint-siège. « La maison d’Autriche, écrivait-il à lord Castlereagh, avait sur cette partie de l’Italie un droit incontestable, comme roi de Rome aussi bien qu’en qualité d’empereur héréditaire et chef du corps germanique[1]. » Il comptait garder pour l’Autriche la légation de Ferrare, et il avait déjà disposé des provinces du saint-siège sur l’Adriatique en faveur de Murat. Ce malheureux prince, entraîné par les passions de sa femme et les artificieuses sollicitations de Metternich, avait signé le 11 janvier 1814 un traité d’alliance avec l’Autriche. Le maintien de « la dynastie du roi Joachim, » une indemnité d’argent après la paix, une bonne frontière militaire et « une acquisition calculée sur l’échelle de 400,000 âmes à prendre sur l’état romain, » étaient le prix de la trahison. Après avoir donné comme limites à l’Autriche le Pô, le lac Majeur et le Tessin, Metternich entendait placer des archiducs à Modène, à Parme et à Plaisance, et dominer tous les petits états italiens ; y compris la Toscane, par des traités d’alliance qui les mettraient à sa discrétion. Il savait bien que les Bourbons feraient tout au monde pour l’en empêcher. « En Italie, disaient quelques mois plus tard les instructions de Louis XVIII à Talleyrand, en Italie, c’est l’Autriche qu’il faut empêcher de dominer, en opposant à son

  1. Protestation du 26 mai 1814.