Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/826

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Napoléon repoussait les conditions qu’elle lui proposait, et le 30, après une entrevue qu’il eut à Dresde avec Napoléon, Metternich lui fit signer, selon le mot de Gentz, « une espèce de convention par laquelle l’empereur admit sans restriction la médiation de l’Autriche au congrès préalable qui allait se réunir à Prague. »

« La conduite de l’Autriche, écrivait Gentz, est justifiée par ce haut résultat que, dans un grand moment comme celui-ci, tous les yeux se tournent vers elle, et que tous ceux qui s’occupent de la paix sont d’accord à lui en remettre l’initiative. » Cette périphrase, qui détonne chez Gentz par sa pédanterie et son équivoque, se résume en quatre mots très clairs et très simples : la souveraineté du but. Metternich ne s’était proposé qu’un but : le succès de l’Autriche ; quant aux moyens, il les jugeait légitimes dès qu’ils lui semblaient corrects dans l’apparence. Toute sa procédure diplomatique n’avait eu qu’un objet, comme le disait M. de Stadion à M. de Nesselrode, faire admettre aux alliés « les formes dont l’Autriche croyait devoir user pour amener la transition de la médiation à la coopération[1]. Il faut reconnaître que Metternich déploya dans cette procédure la dextérité la plus singulière ; mais on a beaucoup trop vanté, même en France, la sagesse des conseils qu’il donnait à Napoléon et la modération dont il aurait fait preuve dans cette crise de 1813. Pascal a dit quelque part que « c’est la dernière fin qui donne le nom aux choses, » et, quelques fautes qu’ait commises Napoléon, quelque intolérable que fût la situation où il avait placé l’Autriche, la dernière fin de l’Autriche en cette affaire donne à la conduite de Metternich le nom qu’elle doit garder : c’est la défection. La manière dont fut préparé et conduit le congrès de Prague prouve que ce mot n’est pas trop fort.

« La Russie et la Prusse, écrivait Gentz le 24 juin 1813, ne désirent au fond que la continuation de la guerre et ne regardent toute tentative de négociation que comme un moyen d’y faire participer l’Autriche… Il faut avoir vu et entendu de près les souverains alliés et leurs ministres pour savoir ce qu’il leur en coûtera de renoncer à leurs projets et à leurs espérances. » Et l’on voit par un mémoire de Nesselrode que, dès la fin de 1812, on considérait en Russie comme « indispensable de faire rentrer la France dans ses anciennes limites entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées. » Metternich le savait ; il savait aussi, au dire de Gentz, qu’au moment où les Russes et les Prussiens acceptaient la médiation de l’Autriche en vue de la paix, ils prenaient avec l’Angleterre « les engagement les plus

  1. Dès le début de ces négociations, Metternich écrivait à Berlin : « Nous nous flattons que les deux puissances entreront et dans nos vues et dans nos formes, car c’est même de celles-ci que nous parait surtout dépendre le plus ou moins de succès de notre plan. » Dépêche au comte Zichy, 30 janvier 1813.