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indépendante. « A l’ombre de cette indépendance dont elle jouissait sans s’en vanter, » comme le disait ingénieusement Gentz, l’Autriche avait, sous prétexte d’entremise, demandé aux alliés leurs conditions de paix, Metternich. avait eu soin d’ajouter qu’il ne s’agissait pas de médiation : « comme puissance médiatrice, nous aurions à dicter les conditions de la paix. » Alexandre avait répondu que les conditions seraient celles qui convenaient à l’Autriche, et Frédéric-Guillaume avait approuvé cette réponse ; dès lors Metternich était prêt à poser la médiation de l’Autriche et à dicter à Napoléon. les conditions des alliés. « Le cabinet de Vienne, écrivait Gentz le 14 avril 1813, grâce à l’habileté extrême de sa conduite, s’est enfin placé dans une attitude absolument indépendante… Cette situation, éminemment favorable, paraît avoir échappé jusqu’ici aux yeux des observateurs superficiels, et voilà pourquoi le système politique de l’Autriche est une espèce d’énigme pour le public. » Le fait est qu’il fallait une dialectique bien subtile pour comprendre que l’entremise de l’Autriche étant un effet de son alliance, avec la France, l’indépendance de l’Autriche un effet de son entremise, la médiation un effet de l’indépendance, la rupture de l’alliance française devenait la conséquence logique de la médiation. Telle fut pourtant l’énigme que Metternich ne craignit pas de proposer à Napoléon lorsque, dans sa réponse à M. de Narbonne, il établit, en termes fort diplomatiques à la vérité, que l’Autriche n’avait qu’un objet, la paix, et qu’il n’y avait qu’un moyen pour atteindre ce but, la médiation armée. « Le rôle de l’Autriche, ajouta-t-il, ne peut plus être celui d’un simple auxiliaire, et dans le cas où la médiation n’aurait point le succès qu’elle espère, il ne lui resterait d’autre alternative que de se retirer, derrière ses frontières ou de s’engager dans la guerre comme partie principale. Les stipulations de secours limités de notre traité d’alliance ne sont plus applicables aux circonstances actuelles. » Ce qu’il disait à M. de Narbonne, il l’écrivit à Napoléon le 1er mai ; il crut encore nécessaire d’assurer l’empereur que son souverain était prêt à appuyer fortement ses paroles de paix et à « combattre les ennemis des intérêts de la France, qu’il ne séparera jamais de ceux de son propre empire. » Or, le même jour le comte Stadion, envoyé d’Autriche, était reçu au camp russe par M. de Nesselrode et lui indiquait comme conditions « autrichiennes » de la paix l’affranchissement complet de l’Allemagne et la domination de l’Autriche en Italie jusqu’au Pô et au Mincio ; il ajoutait que, si Napoléon n’avait pas accepté ces conditions avant le 1er juin, l’Autriche agirait. Napoléon ne donna point à Metternich le temps de lui poser ces conditions ; il agit, et le 2 mai, à la tête d’une armée à peu près improvisée, il battit les alliés à Lutzen.