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qu’il verrait sans doute avec peine couler le sang de ses soldats dans cette guerre, mais que c’était le devoir, l’honneur, et non le sentiment qui traçaient la conduite d’un militaire. « Les vertus de mon souverain sont suffisamment connues, ajouta-t-il, pour que je puisse être assuré qu’en restant fidèle à ces principes j’agirai toujours dans son sens. » Toutefois il-transmit à Vienne les propositions de M. d’Anstett et demanda des instructions[1]. On lui ordonna d’accepter et de conclure, et le 18 janvier, vu a la rigueur de la saison et d’autres considérations également pressantes[2], » il signa un armistice auquel fut annexé un plan de mouvemens concertés pour les deux armées. Dès lors les Autrichiens se retirèrent méthodiquement devant les Russes, et l’on ne doit plus s’étonner que, le 24 janvier, Schwarzenberg se soit refusé d’obtempérer aux ordres que lui fit transmettre Napoléon.

Ces négociations n’empêchaient pas cependant Metternich de prodiguer au comte Otto les démonstrations d’amitié. « Votre alliance avec la Russie était monstrueuse, lui disait-il le 15 février ; la nôtre au contraire est fondée sur les rapports et les intérêts les plus naturels, les plus permanens, les plus essentiellement nécessaires : elle doit être éternelle comme les besoins qui l’ont fait naître. » Et deux jours après : « Considérez comme une vérité incontestable que nous ne cherchons que votre bien, que nous ne redoutons plus la France, mais la Russie, dont vous-même, par vos concessions successives, avez étendu la puissance. » Il commençait à découvrir ses desseins et à dévoiler ses idées sur la paix future : l’une des principales, c’était la suppression du grand-duché de Varsovie et la cession de ce pays à la Prusse, qui l’avait possédé depuis le troisième partage. de la Pologne jusqu’en 1806. C’était une des ambitions favorites de la Prusse, qui considérait la ligne de la Vistule comme nécessaire « à sa sûreté entière et à son indépendance[3]. » Metternich l’en approuvait fort : il redoutait à la fois de voir les Prussiens s’agrandir en Allemagne et les Russes donner une constitution à la Pologne. Il cherchait à faire partager ses craintes à Napoléon en lui montrant la révolution prête à éclater dans le grand-duché et à gagner l’Allemagne. « Notre police n’est plus occupée que de la recherche des conventicules, disait-il ; celle des états voisins ne suffirait pas à cette besogne. » Dans une dépêche adressée le 28 février à M. de Bubna, il dénonçait les menées des Polonais, et il comparait, fort spirituellement du reste, le rôle qu’ils jouaient alors avec celui que à les émigrés français, dans les premières guerres de la révolution, ont soutenu avec une désastreuse constance vis-à-vis des puissances

  1. Le prince de Schwarzenberg à M. de Metternich, 8 janvier 1813, Oncken, p. 427.
  2. Préambule de la convention ; Martens, t. III, p. 89.
  3. Oncken, p. 267, Négociations du traité de Kalisch.