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confiance personnelle qu’ils m’accordent. « Il réclama le secret le plus absolu, car, ajoutait-il, « si la chose venait à être connue ici ou ailleurs, adieu l’indépendance, à laquelle je tiens par principe et qui m’est indispensablement nécessaire pour bien répondre à l’attente de mon commettant. » Gentz fut agréé ; quant à ses honoraires, nous n’en connaissons point le chiffre exact, mais on voit par son journal qu’il en fut satisfait.

La correspondance commença le 2 février 1813 ; elle se continua jusqu’en 1828 tant avec le prince Caradja qu’avec ses successeurs. Le journal de Gentz nous fournit la preuve répétée qu’avant de travailler à ce qu’il appelait « ses expéditions pour Bucharest, » il avait des conversations approfondies avec Metternich. C’est donc la pensée de Metternich qu’il faut chercher dans ces dépêches, ou du moins sa pensée telle qu’il voulait qu’on la connût à Bucharest et à Constantinople ; mais cette pensée est interprétée par Gentz, c’est-à-dire par un homme ardent, qui avait en lui encore plus de l’artiste que du diplomate. Gentz écrit le français cosmopolite du XVIIIe siècle, qui, pour être un peu une langue de convention, n’est cependant pas une langue sans saveur. Le sentiment de la réalité vivante, le goût du bien dire, la passion de l’indépendance littéraire, forcent pour ainsi dire Gentz, en certains passages, à une sincérité de jugement, à une vivacité d’expression, à une netteté de pensée qui ne devaient pas toujours répondre aux discours subtils et trop souvent tortueux que lui tenait Metternich. C’est justement ce qui fait le prix de cette correspondance.

Il y a sans doute beaucoup de finesses dans ces lettres : il faut plus d’une fois lire entre les lignes ; mais en commentant Gentz avec des documens contemporains, surtout avec ceux qui ont été publiés cette année même en Russie et en Allemagne, on arrive à considérer sous un jour tout nouveau des événemens sur lesquels on n’avait auparavant que des données assez vagues et incomplètes. Il faut donc savoir gré aux diplomates de Vienne, si généreux envers l’histoire, d’avoir une fois de plus ouvert leurs archives au public, et nous ne pouvons que remercier sincèrement M. le comte de Prokesch-Osten des précieuses dépêches qu’il vient de nous livrer. La correspondance de Gentz avec les hospodars comprendra trois volumes ; le premier seul a paru, il renferme les dépêches écrites de 1817 à 1819. Elles ouvrent des aperçus fort intéressans sur la politique de l’Autriche en 1813, sur son rôle dans le rétablissement des Bourbons en 1814 et ses rapports avec la Russie et la France pendant les années qui précèdent la grande crise orientale de la restauration.