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 ! Hé ! Ivon ! monte, mon garçon. — Moi, je ne bouge pas semelle, quelque envie que j’en aie, car je sais ce que fera le caporal si je manque à ma consigne. Je cligne donc seulement des yeux, comme ça ! Notre bon empereur comprend, parce qu’il est lui-même soldat et il envoie son laquais pour qu’on me relève de ma consigne ; juge si les autres m’envient ! Ce laquais me conduit donc jusqu’à la porte de l’empereur ; j’entre… Non, tant de luxe ne peut pas se décrire ! Tant d’or, tant d’argent partout ; à peine si j’ose respirer. — Approche donc ! s’écrie l’empereur ; et aussitôt voilà sur la table du pain, du sel et, deux verres bien remplis comme cela : se doit dans chaque maison chrétienne. — Prends ! me dit-il, et je ne me le fais pas dire deux fois. — À la santé du seigneur ! — À la santé de l’hôte ! répond mon empereur en buvant, et je me sens tout honteux. — Eh bien ! que fait-on à la maison ? Que devient le vieux Fedko ? — Je remercie, je réponds en détail, et je demande ensuite selon l’usage : — et vous ? comment cela va-t-il ?

— Oh ! des temps difficiles, vois-tu ! Il faut que je fasse tous les jours huit heures de service pour régner, et les appointemens sont insuffisans, car bien des gens ne paient pas les impôts. Mais, dit-il en s’interrompant, ne manderais-tu pas bien quelque chose de chaud ?

— Ma foi ! s’il y avait un plat tout prêt, là, sans cérémonie…

Il appelle Mme l’impératrice. — Très bien, dit-elle ; le feu n’est pas allumé dans la cuisine, mais qu’importe ! dans une minute, tout sera prêt, car j’ai maintenant une bonne cuisinière, J’ai dû renvoyer l’autre à cause des soldats.,

— En ce cas, pigeonnette, commande des pirogui et peut-être un peu de zrazy[1], veux-tu ?

Et puis l’empereur se plaint : — Nous avons de la peine avec nos servantes… à cause des soldats. Il faut pourtant bien une sentinelle pour faire portez arme ! quand je passe.

Mme l’impératrice là-dessus apporte le plat où les pirogui nageaient dans la graisse, dans la meilleure graisse fondue de porc frais ! — Et nous nous jetons dessus, je vous le dis, et nous nous en bourrons : c’était excellent ! excellent ! — Et le goût du petit verre, et celui du cigare que l’empereur m’a donné ; il avait au moins coûté six kreutzers, six vieux kreutzers, oui !

Mais quatre heures sonnent, et mon empereur me dit : — Ivon, me dit-il, je suis de service, malheureusement ! il faut que j’aille régner !

Le laquais lui apporte une grande couronne d’or et son sceptre,

  1. Les pirogui et le zrazy sont des mets nationaux.