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surtout ; du reste, c’est toujours un art conventionnel et hiératique enfermé dans des types immanens d’où il ne parvient pas à s’échapper. On n’est pas peu surpris de trouver, au milieu de ces figures d’ascètes, la face réjouie d’un marin italien surmontée du petit chapeau rond que chacun connaît ; ce personnage dépaysé dans l’iconographie cantonnaise n’est autre que le célèbre voyageur vénitien Marco Polo, qui vint en Chine en 1271, vécut pendant de longues années à la cour de Koublaï-khan, dont il fut conseiller, et nous a laissé de ses aventures extraordinaires un récit des plus curieux. La pagode des artistes est élevée sur le modèle bien connu de toutes les pagodes chinoises : portique, cour intérieure dallée, entourée d’une galerie, sanctuaire au toit lourd et relevé à chaque angle en cornes munies de clochettes de cuivre doré. Ce qui en fait l’originalité, c’est la collection des œuvres d’art, laques, bas-reliefs, vases de bronze, etc., que chaque année les corps de métiers viennent y déposer comme offrande. La pagode de la longévité contient une série de lits destinés à un singulier usage. C’est là que les couples privés d’enfans viennent, sous les regards protecteurs de la divinité, essayer de rendre leur union féconde en joignant à leurs prières tout ce qu’il faut pour faciliter le miracle. De la haute tour qui la domine on aperçoit l’ensemble des faubourgs ; dans une salle basse accessible au public, les bonzes prennent leur nourriture coram populo ; elle ne se compose que de riz et de légumes, et ils doivent s’abstenir de rien jeter. Ils forment, comme au Japon, une caste avilie et méprisée, vivant dans la paresse et la saleté, accusée des vices les plus honteux, entretenue cependant par la libéralité d’une population plutôt superstitieuse que religieuse. Leur principal revenu consiste dans les prières que tout bon Chinois doit faire dire pour le repos des mânes de ses ancêtres.

Non loin s’élève la tour de Bouddha, qui date de 250 ans avant Jésus-Christ ; c’est un monument en briques, couvert de bariolages nouvellement restaurés, qui ne manque pas d’élégance. La tour mahométane que l’on trouve un peu plus loin remonte à l’an 850 de notre ère : elle est fortement inclinée comme celle de Pise ; on en attribue la construction à un voyageur arabe que la légende a personnifié sous le nom d’Arabian. Le mahométisme, très répandu dans le sud de la Chine, compte 30,000 adhérens à Canton ; les exercices sont suivis dans la mosquée située au pied du minaret, et quelques écoliers, destinés à devenir des ulémas, apprennent à épeler le Koran, en arabe, dans une petite annexe de l’édifice consacré aux prières. Les progrès de l’islamisme en Chine formeront un jour un des chapitres les plus intéressans de l’histoire si mal connue des révolutions asiatiques. Ce sujet a déjà fixé l’attention de plusieurs savans ; il a fait l’objet d’une étude intéressante de M. Dabry de