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surmonté d’un phare qui l’indique aux vaisseaux, qu’on voit poindre au milieu d’îles désolées. Nous le laissons à tribord ; la mer est si calme qu’on pourrait descendre en canot sur le récif ; c’est là cependant que ce même Sunda qui nous porte a été jeté par la tempête, il y a quelques mois, et a dû rester plusieurs semaines avant d’être renfloué, tandis que la malle française suivante se chargeait de porter son courrier, ainsi que cela se pratique régulièrement en pareil cas entre les deux services postaux.

En longeant les côtes de Chine, la brume, qui rend la navigation si dangereuse dans ces parages, nous empêche d’y voir à une demi-encâblure du beaupré ; il faut constamment siffler et faire tinter la cloche pour avertir les barques de pêche très nombreuses qui nous entourent et ne prennent aucune précaution pour indiquer leur présence. La nuit, ce sifflement et le ralentissement brusque du navire, quand l’officier de quart doute de ce qu’il a devant lui, donnent à la marche le caractère lugubre d’une descente fantastique dans l’empire des ténèbres. Le brouillard, en effet, est le plus terrible ennemi du marin, qui préfère le gros temps et la tempête à l’obscurité. Il se dissipe cependant pour nous laisser voir l’Hoogly et le Menzaleh, deux paquebots des Messageries qui se rendent, l’un à Shanghaï, l’autre à Yokohama, garnis de passagers qui agitent leurs mouchoirs, tandis que s’échangent les saluts d’usage. Enfin nous pénétrons dans les chenaux qui mènent à travers plusieurs petites îles basses et inhabitées jusqu’à l’îlot de Hong-kong, et nous entrons à minuit, par un beau clair de lune, dans le port de Victoria, où le Sunda vient s’attacher à sa bouée.

La ville est éclairée au gaz, on y donne sans doute une fête, car les accords lointains de la musique parviennent jusqu’à nous ; les collines aux vives arêtes et les villas en amphithéâtre se dessinent vaguement sous un ciel étoile, au milieu d’une atmosphère tiède et calme, on dirait une nuit vénitienne, et volontiers on chercherait des yeux les gondoles, mais il faudrait n’avoir pas mis le pied en Chine pour se laisser aller un seul instant à l’illusion. Il faudrait n’être jamais encore passé à Hong-kong ni à Shanghaï, Shanghaï, ce petit Londres jeté audacieusement par le génie anglais sur le Wampoa, à 12 milles du Yang-tse-kiang, avec ses quais magnifiques, ses banques installées dans des palais, son luxe étourdissant, mais adossé à la ville chinoise du même nom, où grouille dans un cloaque infect une population de plus de 100,000 coulies déguenillés. Ici la population chinoise n’est pas moins nombreuse, mais l’administration est purement anglaise. Tandis qu’en effet Shanghaï est un seulement, c’est-à-dire une concession emphytéotique de terrain faite aux diverses puissances européennes par le gouvernement chinois, Hong-kong est une colonie proprement