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funèbres que le gouvernement a cru trancher en proposant une loi nouvelle, qu’il n’a fait peut-être que compliquer en voulant tout concilier. Rien ne faisait certes une nécessité de soulever cette question délicate ; elle a été soulevée à propos du budget de la Légion d’honneur, elle a été le préliminaire compromettant des discussions sur le budget des cultes, et voilà maintenant les deux chambres, le gouvernement, mis en demeure de résoudre la difficulté la plus épineuse, de décider dans quelle mesure les honneurs funèbres prévus par un décret de l’an XII doivent être accordés aux membres de la Légion d’honneur, suivant qu’ils sont enterrés civilement ou religieusement. Ce n’est qu’un incident de plus dans cette lutte engagée à l’occasion du budget, et ce n’est pas le moins sérieux, puisqu’il met en jeu des susceptibilités de toute sorte, sans parler de la liberté de conscience.

Eh ! sans doute, nous ne le méconnaissons pas, il peut y avoir de justes préoccupations provoquées par ces questions toujours graves, souvent redoutables, qui touchent aux fibres les plus intimes du monde moderne. Si la liberté de conscience était sérieusement en péril, elle devrait être sauvegardée, c’est bien certain. Assurément la société civile a le droit de se défendre, de maintenir son autorité souveraine. Le gouvernement n’a pas seulement le droit, il a le devoir de se faire respecter, de résister à tous les empiétemens, et en définitive il est suffisamment armé par les lois pour assurer l’indépendance, les prérogatives, la surveillance de l’état. C’est son rôle et sa mission de tous les jours. Qu’on prenne bien garde cependant de ne rien exagérer. Il ne faudrait pas montrer assez peu de foi dans la société à laquelle nous appartenons pour croire que la liberté de conscience puisse être si facilement compromise. Il ne faudrait pas s’effrayer de fantômes et se hâter de prendre pour un péril réel quelques déclamations, quelques excès de langage, ces polémiques bruyantes et passionnées que M. l’évêque de Gap désavouait récemment avec sagesse. Il ne faudrait pas enfin se livrer à un système de médiocres représailles.

Franchement, parce qu’on ajoutera quelques difficultés au recrutement du clergé en supprimant des bourses dans les séminaires, croit-on qu’on aura bien efficacement sauvegardé la société moderne ? Pense-t-on avoir conquis de grandes sûretés, parce qu’on a supprimé le chapitre de Saint-Denis, et n’est-ce point une véritable puérilité de dire que de vieux prélats n’ont plus à garder la sépulture des rois, puisqu’il n’y a plus de rois ? On veut avec raison empêcher l’invasion de l’esprit ecclésiastique dans la vie civile, dans la politique ; ce n’est point apparemment pour faire soi-même ce qu’on reproche aux autres, pour substituer à l’esprit d’une église l’esprit de secte, d’irréligion ou d’athéisme. Dans cette question même des honneurs funèbres qui se débat aujourd’hui et qu’on a la prétention de régler, il y a certainement un point délicat à saisir. Que l’état ne fasse pas de distinction, qu’il ne s’informe pas des