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besoin de ses meilleurs soldats pour les garder ; elle sait très bien que l’Autriche n’oubliera jamais le conseil qui lui a été donné de transférer le siège de sa capitale de Vienne à Pesth ; elle sait que d’un moment à l’autre la Bavière peut s’échapper, que le Hanovre nourrit de sourds ressentimens, que les pays Scandinaves gardent rancune à la Prusse de sa déloyauté, qu’en Russie le futur czar est à la tête du parti qui condamne l’encombrement des postes les plus élevés de l’armée et de l’état par des Allemands. Or on ne se fait respecter qu’à grands frais quand on n’est pas aimé. D’autres dépenses encore que celles qui sont nécessaires pour maintenir la crainte autour de lui contribuent à vider les coffres du pays des milliards. La Prusse a du renoncer à la parcimonie dont elle était fière, il ne lui est plus permis de faire passer le bien public avant toutes les pompes inutiles : impérialisme oblige. Les hauts fonctionnaires reçoivent des traitemens magnifiques ; il faut représenter dignement la grande patrie ; le temps des petites économies est passé. Et il n’y a pas qu’une seule cour à Berlin ; après celle de l’empereur et du prince impérial, viennent les cours respectives de tous les princes de la maison de Hohenzollern, qui rivalisent de luxe et d’apparat.

Si l’on considère qu’à mesure que cet éclat grandit, l’esprit de matérialisme, les tendances communistes, l’incrédulité systématique grandissent aussi, la situation de l’Allemagne en général ne paraîtra pas aussi prospère que voudrait le faire croire « un Allemand. » L’auteur de German home life nous montre le clergé abaissé, le nombre des étudians en théologie diminuant tous les jours, les pratiques extérieures du culte abandonnées de plus en plus, l’auréole du martyre mise au front de l’église catholique, qui, si l’on compte l’Autriche avec les autres états, prédomine après tout dans la Vaterland, bien qu’il soit avéré que l’Allemagne est protestante. Jamais Frédéric le Grand, qui se mêlait de tout pourtant, ne s’est mêlé de la religion. Il accordait à chacun a le droit d’aller au ciel par le chemin qui lui convenait. » En oubliant cet axiome très-sage, les rois de la terre risquent de se créer de sérieux embarras. Encore une fois, ce n’est pas nous qui le disons, c’est l’auteur de German home life, et elle le dit avec une énergie, une indignation à laquelle sa qualité de protestante, ses préventions, visibles çà et là contre la France, et son admiration avouée pour le génie de M. de Bismarck, sa sympathie même pour les vertus privées de ce Titan, de ce demi-dieu comme elle le nomme, donnent un certain poids.


TH. BENTZON.