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Il faut parler plus gravement de cette triste hypocrisie du mariage morganatique, inventée pour préserver les jeunes altesses d’entraînemens de cœur irréparables. Quand il s’agit d’une ballerine, la précaution peut être sage, mais souvent l’épouse morganatique est une honnête femme de bonne maison. N’importe ! puisqu’elle n’est pas de sang royal, elle ne peut aller à la cour sous le nom de son mari. Ses enfans n’héritent point du titre de leur père ; on leur en invente d’autres, ils ne sauraient être officiellement reconnus. Trop heureux encore quand le mari n’est pas arraché au foyer de son choix pour épouser, bon gré mal gré, quelque princesse que lui imposent des ordres supérieurs. Ces drames domestiques sont assez fréquens dans le cercle des petites altesses et des infimes sérénités.

Ayant achevé de feuilleter ces esquisses, nous nous bornerons à dire qu’elles ont été accueillies avec curiosité, non pas seulement en Angleterre, mais encore en Allemagne, où certains esprits judicieux n’ont pu s’empêcher de reconnaître dans le blâme même des traits d’une parfaite vérité. L’auteur nous communique la lettre « d’un Allemand » qui, sans nier les tares ni les misères attribuées à la vie domestique dans sa patrie, entreprend de les expliquer. La pauvreté, dit-il, en est cause. L’Allemagne ne possède pas de richesses accumulées, si on la compare à la France ou à l’Angleterre ; la classe moyenne supérieure y est beaucoup plus nombreuse et plus mal pourvue que dans ces deux pays. Il s’ensuit que tout étranger est frappé par la disproportion qui existe en Allemagne entre la culture intellectuelle poussée très loin, et le confort matériel complètement nul. L’Allemagne est naturellement un pays pauvre, et la guerre de trente ans l’a épuisée de telle sorte qu’elle n’a recouvré que vers 1850 les conditions de prospérité publique qu’elle possédait avant 1618. L’auteur de la lettre, qui est un écrivain politique connu, ajoute que depuis 1866 le commerce, l’industrie, se réveillent et permettent de compter sur de rapides progrès.

Est-ce bien certain ? On est tenté d’en douter, en se reportant aux renseignemens fournis par l’auteur de German home life d’après les statistiques allemandes : depuis 1870, les revenus des états secondaires qui composent l’empire d’Allemagne ont grossi sans doute, mais aucune prospérité civile n’en résulte. Tout le surplus est absorbé par les dépenses militaires qui ont été la suite de la guerre franco-germaine. L’augmentation de l’impôt est de 30 pour 100 environ, et non-seulement il faut payer de sa poche, mais encore de sa personne. La limite d’âge pour le service militaire est supprimée ; la population décroit en même temps d’une façon alarmante. — L’étendue des frontières est immense ; l’Allemagne a