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moyenne, et là il nous est permis de répéter après tant d’autres : Le Français dîne, l’Allemand se repaît. On sent que la quantité, non la qualité des victuailles, lui importe.

A table d’hôte, chacun dévore sa part et plus que sa part, lapant le potage avec une gloutonnerie tout animale, nettoyant son assiette à tour de bras, faisant usage du couteau et du cure-dents tout ensemble. Une voyageuse reçut un jour à dîner ce singulier compliment d’une de ses voisines : — Vous êtes Anglaise, n’est-ce pas ? Je l’aurais deviné tout de suite. Vous mangez si joliment ! — Sur ce chapitre, les Allemands n’entreprennent pas d’imiter ce qu’ils admirent chez autrui. Il paraît cependant que le principal but de quelques-uns d’entre eux, en prenant des bonnes étrangères pour leurs enfans, est d’enseigner à ces derniers l’art, inconnu dans la patrie, de manger proprement.

La nourriture du peuple en Allemagne est misérable : le café sans sucre, le pain noir sûri, un abominable ragoût de pommes de terre, d’oignons, de poires et autres fruits ! de la choucroute et assez de charcuterie crue pour que la trichine fasse d’affreux ravages. Les hommes boivent du schnaps (eau-de-vie de grain), dont l’effet serait désastreux s’il n’était paralysé par la masse de nourriture engloutie en même temps. Dans les districts montagneux, c’est un événement que de goûter à la viande, mais la population n’en souffre point, grâce aux qualités fortifiantes du climat.

Les femmes même de la bourgeoisie se contentent du premier déjeuner, tandis que les hommes sortis de bonne heure, ceux-ci pour la gymnastique, ceux-là pour le service militaire, réconfortent leur estomac excité par le grand air au moyen de ces orgies d’huîtres et de vin blanc qui font l’admiration de Heine à Berlin. Le dîner a lieu entre midi et trois heures ; c’est une pénible et interminable opération. Le dégoût d’une Anglaise habituée à toutes les recherches de symétrie et de netteté, en présence du couvert allemand, est facile à concevoir : ni soin ni ordonnance dans l’arrangement du linge, des plats, de l’argenterie ; on change rarement les assiettes, les fourchettes et les couteaux sont empilés en un tas informe, et vous sortez de ces repas copieux l’estomac alourdi plutôt que satisfait. A quatre heures, vous êtes convié au café. Le souper est à sept ou à neuf heures, selon la longueur de l’opéra ou les autres exigences der la famille. Cet Abendessen est le plus appétissant de tous les repas allemands ; les viandes froides servies dans ces jolis plats doubles qui commencent à être en usage chez nous sont arrosées de thé très faible pour les femmes, de vins du Rhin ou de Bordeaux, de bière de Bavière pour les hommes, qui ensuite allument leurs cigares, tandis que la partie féminine de la famille bat en retraite.