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apparence de lutte, une volonté de fer sous des formes molles, une bonne partie du caractère ecclésiastique est là. C’est une question quelquefois débattue parmi les observateurs des choses sociales, de savoir lequel l’emporte en finesse, d’une femme ou d’un prêtre ; Gustave Droz dans son Paquet de lettres, a tranché la question en faveur du dernier. Elle est pourtant admirable d’hypocrisie sentimentale et de ruse, insaisissable la lettre écrite par la comtesse, femme du candidat évincé, pour amener l’abbé à reprendre la bicoque dont le comte n’a plus que faire, son insuccès une fois certain. Que ces manèges sont filés menus, que ces pièges sont délicatement recouverts de sensibilité et de poésie. Il y a là quelques pages d’une telle habileté d’imitation, qu’elles ont l’air de la copie littérale d’une lettre lue par l’auteur plutôt que d’un original inventé par lui. Peu de choses dans notre littérature satirique sont supérieures à cette lettre de la comtesse, où M. Droz s’est montré passé maître dans l’art d’accorder son instrument avec justesse au ton de l’air qu’il voulait jouer.

Une autre compensation à cette irrévérence voltairienne, et celle-là d’un genre très élevé, est la création de ce personnage de l’abbé Roche qui remplit tout le roman intitulé Autour d’une source, dont les lecteurs de la Bévue se souviennent certainement. Est-ce pour faire amende honorable de ses précédentes railleries qu’il a créé ce beau caractère, ou bien ne faut-il voir dans cette création qu’une agression nouvelle sous une forme moins directe ? A-t-il voulu mettre en opposition le curé de campagne à l’âme pure et blanche comme la neige de ses montagnes, à la vie simple comme celle des villageois qu’il assiste de sa mâle charité, avec le prêtre des grandes villes, à l’âme blasée d’expérience mondaine, à la vie compliquée et diverse comme celle des paroissiens qu’il s’ingénie à moraliser, à l’esprit délié et bien muni d’armes de défense contre les manèges sociaux, et dire par ce moyen à ses lecteurs : voilà le prêtre tel que je le comprends ? Si c’est là son idéal du prêtre, il est fort acceptable, et les plus difficiles pourraient s’en contenter. J’ajoute que, bien que très haut, cet idéal n’a cependant rien d’inaccessible, car il est souvent réalisé ; nous avons tous connu l’abbé Boche, sinon absolument en bloc, au moins par fragmens assez considérables, pour savoir de science certaine qu’il exerce en plus d’un lieu son ministère de justice et d’amour. Toutefois cet idéal a un défaut considérable, c’est sa perfection même. S’il est une conclusion qui ressorte en toute évidence du roman de M. Droz, c’est que ce type du prêtre est absolument impossible dans notre société telle que l’ont faite soixante ans d’industrie, de révolutions et de mélanges matrimoniaux, et qu’il ne peut exister sans danger mortel pour lui-même et sans inconvéniens pour ses ouailles imparfaites.